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ATT n’a pas perdu le pouvoir… Il ne l’a jamais exercé"
[caption id="attachment_56641" align="alignleft" width="180" caption="Youssouf T. Sangaré"]
![ysangare2](http://www.maliweb.net/wp-content/news/images/2012/03/ysangare2.jpg)
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Face à la crise au Nord du Mali, la perception de l'inaction du président ATT et de son gouvernement est passée d'inquiétante à révoltante. Comment ne pas être révolté face à l'incapacité d'un pouvoir à faire régner l'ordre et la sécurité sur son territoire, à sa coupable impéritie qui livre à la voracité sanguinaire des terroristes une partie de nos forces armées. Trop, c'est trop. Et comme dit le proverbe « on ne se méprend pas sur la nature d'une mauvaise danse qui commence ». Ainsi, la logorrhée habituelle d'ATT sur le « tout va bien, nous contrôlons la situation » ne suffisait plus et ne persuadait que sa personne.
Face au putsch ou à la tentative de putsch en cours au Mali, il y a bien sûr ceux qui vont nous enjoindre de défendre la "démocratie" et de dénoncer l'action d'une partie des militaires. Mais rappelons que nos pays, où tout reste à faire et à construire, ne peuvent se payer le luxe du népotisme, le faste de la corruption, l'excès de l'injustice sociale et la mainmise capricieuse d'une oligarchie sur les richesses du pays... au nom de la démocratie. Oui, il faut prendre le parti de la démocratie lorsqu'elle sert l'intérêt général. Il faut servir la démocratie lorsqu'elle a pour vocation d'établir et de garantir la liberté, la justice et d'améliorer les conditions de vie.
Mais la démocratie devient une idéologie, une comédie cynique et une imposture grotesque lorsqu'elle entretient les privilèges et les intérêts d'une minorité aux dépens de la majorité souffrante. La question reste donc de savoir si nous pouvons nous servir du "prétexte" de la démocratie pour défendre ceux-là même qui ont bafoué ses principes et ont foulé aux pieds les aspirations d'un peuple à vivre dans la paix et la justice. La démocratie n'est pas que des mots ou un simple objet de rhétorique creux, mais elle est d'abord des valeurs. Des valeurs pour lesquelles le peuple Malien, pacifiste dans l'âme, a arraché le 26 Mars 1991, dans le sang et dans le sacrifice, sa liberté... Les plaies de ce jour tragique sont encore béantes.
Or, comme le dit si bien l’écrivain et romancier Moussa Konaté, «
le malheur des Maliens fut d’avoir remplacé un régime militaire par une mafia pour laquelle les intérêts personnels sont au-dessus de l’intérêt public.
» [1]. Peut-on, en effet, nier la comédie démocratique singée par les acteurs politiques de notre pays, depuis la chute de Moussa Traoré en 1991 ? À commencer par les obscurs arrangements entre Alpha O. Konaré et ATT, sans oublier la fameuse politique du « consensus » qui, à regarder de près, symbolisait le retour de l’UDPM (parti unique sous la dictature de Moussa Traoré) avec comme conséquence le saucissonnage de l’administration d’État et des institutions de la République. Pour toutes ces raisons, nous pensons qu’il n’est pas exact de dire que
ATT a perdu le pouvoir… Il ne l’a jamais exercé, malheureusement !...
Le choix qui s'offre aux Maliens et Maliennes n'est donc pas entre la démocratie et un pouvoir militaire mais entre, d’un côté, la justice, la défense des idéaux des martyrs du 22 et 26 Mars 1991 et, de l’autre, l'acceptation d'une médiocrité entretenue et célébrée à la tête de l'État (avec l’insouciance et l’inconscience des défis à relever qui les accompagnent).
Il faut espérer que le coup d'État ou la tentative de coup d'État soit le début d'une nouvelle ère démocratique pour le Mali. De cette démocratie comme recherche des idéaux de justice, de solidarité…et de restauration de l’autorité de l’État.
À ceux qui craignent un K.O. politique, rappelons que ce K.O., comme nous venons de l’écrire, avait, grâce au népotisme et aux accointances du régime d’ATT, prit ses quartiers au cœur même de nos institutions…
Quant aux putschistes, à eux de savoir se montrer à la hauteur de l'Histoire et des aspirations démocratiques des Maliens et Maliennes. À eux de savoir faire que nos « champs fleurissent d’espérance » et que nos « cœurs vibrent de confiance », selon les mots de l’hymne national.
Il y a sans doute un paradoxe dans le fait de tabler sur des « putschistes » pour rétablir la démocratie… Ainsi certains commentateurs parlent de recul, de deux décennies, pour le Mali. Mais, il y a des reculs qui peuvent être salutaires…et, parfois, reculer n’est pas une option, mais une exigence.
«
Si dans sa chute, un arbre ne t'écrase pas du tronc, ne te laisse pas écraser par les branches... » (Proverbe).
Quoiqu’il en soit, la colère légitime contre ATT et ses hommes n’est pas synonyme d’adhésion à l’action des putschistes. À eux de nous prouver qu’il est possible de passer de la colère contre le chef de l’État à la restauration et la réforme de l'État.
Une contribution de Mr Youssouf T. Sangaré
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[1]. Voir l’entretien de Moussa Konaté : « Le coup d'État au Mali était prévisible », sur
Jeuneafrique.com