Dans l’entretien ci-dessous, Abidine Ganfoud se prononce sur la nomination de Django Cissoko qui remplace le Premier ministre démissionnaire, Cheick Modibo Diarra. Il nous fait également partager ses visions sur le gouvernement d’union nationale, les concertations nationales, l’intervention militaire étrangère pour récupérer les régions occupées par des groupes terroristes et islamistes…
Que pensez-vous de la démission de Cheick Modibo Diarra, est-ce que Django Cissoko peut mieux faire ?
Abidine Ganfoud : «Bi islmillahi Rahmani Rahim, que Dieu le Tout-puissant éclaire nos populations». Ceci dit, c’est toujours un réel plaisir pour moi de m’exprimer sur les questions concernant notre pays, le Mali. D’autant plus que je constate que votre journal est soucieux de faire participer les Maliens de l’extérieur, dans la recherche de solutions aux problèmes actuels de notre pays. S’agissant de l’ex-Premier ministre, je suis toujours peiné de voir un homme tombé par terre, surtout de si haut. Monsieur Cheick Modibo Diarra a fait beaucoup de choses dans sa vie et il aurait dû ne pas s’embarquer dans cette affaire du Mali. Je profite pour dire aux apprentis-sorciers, sachez que pour faire de la vraie sorcellerie, il faut en apprendre toutes les ficelles. De même, je profite pour dire aux apprentis-politiciens, sachez que pour faire de la vraie politique, il faut avoir fait un vrai parcours de politicien car la politique est un métier, comme l’escroquerie est un métier, ahahahaha !
Pour revenir au cas de Monsieur Cheick Modibo, je suis étonné de voir qu’ayant étudié les «systèmes experts» et «l’Algèbre floue», celui-ci se soit embarqué dans cette affaire au mépris des conclusions visibles auxquelles l’application de ces deux sciences l’aurait mené. Je suis étonné par la composition de son ex-gouvernement qui met de côté, de façon calculée, des acteurs majeurs du Nord du pays ; je déplore son attitude de «va-t-en-guerre» dictée par les mêmes motivations qui ont été fatales à notre ex-président ATT : «même fourbie, même fin» quel dommage ! En tout état de cause, une simple analyse scientifique rationnelle minimale, montre la multitude de handicaps que devaient surmontés l’ex-Premier ministre dont principalement son âge et son parcours personnel : «On ne change pas à un certain âge» et «Un mouton ne peut pas devenir un lion quoi qu’on fasse». In fine, bien qu’il ait fait une grosse bêtise en se laissant embarquer, trompé sûrement par des courtisans (qui vont changer sans aucun état d’âme de maître), je regrette cette fin pénible pour un frère.
S’agissant de Monsieur Django Cissoko, je dirai qu’avant toute chose, il y a lieu de définir exactement, ce qu’on attend par Premier ministre et quel est son «job». Car ce sont là, deux méprises qui ont été la cause majeure de la perte de Cheick Modibo Diarra. Au Mali, il n’y a pas de président, donc il n’y a pas de pilote de la barque Mali, qui puisse définir les missions d’un Premier ministre. Et monsieur Cheick Modibo Diarra a confondu les rôles de président et de Premier Ministre, en oubliant que les vrais tenants du pouvoir sont ailleurs. Aussi, quelles que soient les valeurs intrinsèques de Django Cissoko (qui a travaillé pour Moussa TRAORE, pour Alpha Oumar KONARE, etc.), il ne pourrait pas faire un miracle, tant que les choses ne seront pas définies clairement. En effet, la solution du Mali, ne viendra pas d’un Premier ministre, mais d’un vrai président démocratiquement élu, légitimé par les populations ou par leurs représentants dûment mandatés. Ceci étant, je ne peux que souhaiter bonne chance à monsieur Cissoko. Que je ne connais pas personnellement, car le seul lien commun entre lui et moi, serait que nous avons fait tous les deux l’ENA.
Pensez-vous que la mise en place d'un gouvernement d'union nationale peut nous sortir de cette crise ?
Honnêtement, je suis pessimiste car l’histoire montre que ce type de «Solution-bateau» tirée des manuels, n’aboutit jamais à quelque chose de durable. Rappelons qu’un gouvernement est exécutant d’une politique et d’une décision prise par le pilote de la situation, seul maître à bord. Aussi, ce qu’il nous faut au Mali, c’est un pilote pouvant être un seul individu ou des individus œuvrant honnêtement pour un même but, écouté et accepté par toutes les populations ou par leurs représentants dûment
désignés. Pour cela je propose comme première priorité la désignation par une assemblée constituée par des notables, des religieux et des chefs de partis politiques, dont la mission serait : de formaliser le type de Mali qu’il faut à nos populations, de formaliser quel type de pilote pour mener à bord le bateau Mali et de désigner celui ou ceux qui seront les mieux qualifié(s) pour assumer cette responsabilité. Ce n’est qu’après cela que ce pilote, qui aura défini clairement ses programmes d’actions à mener, devra choisir son Premier ministre qui constituera un gouvernement capable de réaliser ces programmes.
On parle de concertations nationales, pour établir une feuille de route, qu'en pensez-vous ?
Honnêtement, comme indiqué tout à l’heure, on met la charrue avant les bœufs. On veut utiliser les recettes concoctées pour d’autres problèmes pour celui du Mali, on oublie que le Mali a l’un des taux d’analphabète les plus élevés du Monde ; on oublie que le Mali est gangréné par la corruption. On oublie que le Mali fait partie des pays les plus pauvres de la planète, et ventre vide, ne… (dit le sage). Ceci étant, il faut arrêter d’amuser la galerie par des soirées de soutien (occasion rêvée, donnée à tous les grands escrocs du Mali pour se remplir les poches sur les dos des populations du nord), par des défilés de parades et des meetings-spectacles orchestrés par des politiciens qui se préparent à fondre tels des éperviers sur le pouvoir. Ce ne sont pas les concertations nationales qui ont permis de montrer au Monde entier le vrai visage d’un Mali qui a bluffé tout le monde. Ce sont les jeunes militaires du Sud et les jeunes combattants du Nord (dont je salue en passant le courage) qui ont débusqué les imposteurs. Aussi, rien ne doit et ne peut se faire sans eux, aussi, tout doit être fait pour qu’ils préparent ensemble un destin radieux ; aussi, en réponse à cette question, je vous renvoie à ce que je viens de proposer qui devra cependant être soumis à un groupe de techniciens maliens pour la mettre en forme. Ce qui ne doit poser aucun problème majeur d’autant plus qu’il y a assez de bons organisateurs au Mali qui pourront mettre en forme mes propositions et les adapter (comme on le dit chez nous) aux réalités du pays. Dernier conseil, il faut arrêter d’imiter les autres et suivre nos vraies valeurs et coutumes. Ensemble les Maliens peuvent s’en sortir.
Les Maliens sont divisés entre l'intervention militaire et le dialogue, le Mali doit dialoguer avec qui ?
C’est tout à fait normal que les Maliens soient divisés car cette grande nouvelle épreuve qui vient de tomber sur nos populations, a apporté avec elle un lot de malheurs connexes. Étant donné que depuis la pseudo-indépendance du pays, le fossé se creusait entre les populations du nord et celles du sud, entre ceux qui se sont enrichis (dont la plupart vient de familles pauvres du milieu paysan) et ceux qui continuent à s’appauvrir. Entre ceux qui lorgnaient la manne du pouvoir, source d’enrichissement personnel facile et certain et ceux qui passent leur temps à ourdir de mauvais coups pour conserver leurs privilèges pour eux et pour leurs enfants, entre ceux qui ont faim et ceux qui font du sport pour perdre des kilos. Étant donné que la nouvelle rébellion déclenchée par des circonstances extérieures, est due principalement à ce fossé qui ruine tout sur son passage. Étant donné que des «apprentis-sorciers», assoiffés de pouvoir, (enivrés et trompés par des courtisans de tout bord), voulant utiliser une rébellion pour préserver leurs privilèges, ont allumé un feu qui révéla la faiblesse du système malien et montré au Monde l’état piteux dans lequel les populations vivotaient, il est compréhensible et légitime. Que des Maliens déracinés par cette rébellion, ayant abandonné du jour au lendemain toute leur maigre fortune pour aller vivre chez autrui dans des conditions précaires, ne voient que la guerre comme seule solution rapide, pouvant leur permettre de retourner vivre chez eux. Que certains Maliens qui ne sont pas prêts à aller mourir pour que les nantis et autres corrompus puissent, continuer à s’enrichir et à faire enrichir leurs seuls parents. Enfin, il y a les Maliens qui refusent de faire la guerre personnelle de la France et de Ouattara, parce qu’ils refusent une nouvelle colonisation étrangère. Pour toutes ces raisons, je vous répondrais en vous disant : le Mali doit dialoguer avec lui-même. Enfin ayant toujours été opposé à la division de l’Afrique, je ne peux que m’opposer à la division du Mali car il y va de la survie de nos populations et qu’il y a d’autres formes d’organisation dont j’en ai proposées certaines.
Quelle solution pour sortir de cette crise, et quel commentaire faites-vous de l'implication de la communauté internationale ?
Je vous dirai que je suis convaincu que seule une franche approche politique sereine et démocratique permettra au Mali de se sortir de sa crise actuelle. Je salue le courage du secrétaire général de l’ONU, qui a fait au Conseil de sécurité un rapport qui n’a pas plu à certains Maliens, mais qui reflète la triste réalité du pays. Je salue l’approche responsable de nos deux pays frères à savoir l’Algérie et le Burkina Faso, qui prône le dialogue entre Maliens au lieu de la tuerie entre Maliens. Je suis respectueux de l’analyse de connaisseurs des Américains, analyse qui devrait permettre à tous les hommes de bonne volonté de trouver une solution définitive aux rébellions à répétition du Mali. Pour moi, une intervention punitive ne résoudra jamais le problème ; pour moi, une action de gloire de quelques présidents assoiffés de renommée ne résoudra jamais le problème ; pour moi, nous avons besoin des vrais amis mais pas de ceux qui veulent nous utiliser à des fins personnelles; pour moi, il faut une action durable et elle ne pourra venir que de nous et pas de ceux qui veulent nous humilier.
Quelles sont les nouvelles des populations qui sont restées au nord ?
J’ai des nouvelles quotidiennes des populations du nord et de même j’ai des contacts journaliers avec mes parents du sud. N’oubliez jamais que je suis un vrai Malien car mon père est arabe, ma mère est peulh, mon grand-père est sonrai et ma grand-mère est bamanan. Ceci dit et pour répondre à votre question, je vous dirai que les populations du nord ne vivent pas dans de bonnes conditions car elles vivent avec deux peurs au ventre. La peur de se voir bombarder par la France, la peur de se voir exterminer par ceux que la France veut exterminer. Cependant par la volonté de Dieu le Tout-puissant et la force de leur foi de musulman, nos populations qui n’avaient pas les moyens financiers et/ou l’envie de partir, continuent à essayer de vivre normalement avec une seule parole sur les lèvres. «Tout ce que Dieu le Tout-puissant fait est une bonne chose, c’est lui seul qui sait pourquoi il le fait et nous l’acceptons».
Avez-vous un mot de la fin ?
Mon Dieu c’est déjà fini alors que j’ai tant de choses à dire aux populations du Mali. Voilà ma réponse à votre question : transmettez mes conseils ci-dessous : revenons aux vraies valeurs de l’Afrique qui nous enseignent ; privilégions les intérêts de l’enfant aux nôtres ; faisons du voyageur qui vient chez nous un roi ; faisons passer le bien-être du voisin au dessus du nôtre ; ne dormons jamais lorsque le voisin, le frère est malheureux ; bannissons le vol ; détruisons la corruption qui est synonyme d’enfer pour notre vie. Que Dieu éclaire les populations du Mali et leur donne de vrais dirigeants. Vive le Mali, vive le peuple malien !
Réalisé par Kassim TRAORE