Lepoint.fr - 02/04/2012 - Le coup d'État devait préserver le pays de grands malheurs. Il ne fait que le plonger un peu plus dans l'abîme.
[caption id="attachment_58340" align="aligncenter" width="610" caption="Des soldats maliens à Kati, dimanche. © AFP"]
![coup-etat-junte-543756](http://www.maliweb.net/wp-content/news/images/2012/04/coup-etat-junte-543756.jpg)
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Les Maliens se demandent s'ils vivent toujours dans le même pays depuis plus d'une semaine que cette démocratie, à bien des titres exemplaire depuis 20 ans, est la proie du chaos. Les putschistes ont enfin décidé
le retour à l'ordre constitutionnel, mais trop tard, face à une rébellion touareg de plus en plus incontrôlable. Le pays vit un cauchemar, d'absurdité en absurdité, sur un train d'enfer.
Rappel : la junte composée de soldats dont aucun haut gradé, avec à sa tête le capitaine Amadou Sanogo, s'est emparée du pouvoir le 22 mars dernier en justifiant son coup d'État par la défaite du président Amadou Toumani Touré ("ATT") face à la situation dans le nord du pays. Cette région est depuis de longs mois, et plus encore depuis le début de l'année, le décor de la rébellion des Touaregs - parents pauvres du Mali - et des terroristes d'al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi).
Quand quelque chose de grave se passe, les femmes africaines se mobilisent. Or ce fut le cas à Bamako, il y a un mois de cela, quand des Maliennes manifestèrent dans la capitale pour dire leur ras-le-bol des conditions dans lesquelles leurs maris et fils soldats de l'armée malienne se trouvaient face aux rebelles du nord : sans moyens, sans armes, sans stratégie. Depuis, le mécontentement montait toujours plus fort, sans que le gouvernement prenne aucune mesure, et jusqu'à une rencontre aussi peu concluante avec le ministre de la Défense le 22 mars. Le jour même, les putschistes passent à l'acte.
Changement nécessaire
Juste après le coup d'État, des voix se sont prononcées en faveur de la junte, non pour saluer cet attentat à la démocratie dans un pays pacifique soucieux de ses institutions et du dialogue démocratique, mais pour reconnaître que s'exprimait là un signe nécessaire du changement de politique, et de la prise en considération sérieuse d'une menace gravissime pour le peuple malien. Mais comment ces hommes ont-ils pu aussi facilement s'en prendre aux tenants du pouvoir, à commencer par ATT lui-même, refusant de donner la riposte pour éviter que des Maliens tirent sur d'autres Maliens ?
Comment le chef de l'État, qui devait quitter le pouvoir au moment des élections en date du 29, a-t-il pu être invalidé si peu avant une échéance politique prévue au calendrier, et dans quel but ? La réponse invoquée : pas d'élections possibles pour les citoyens maliens du nord du pays dans le climat actuel, impossible de les envoyer aux urnes en sécurité. Il faut savoir que de nombreux Maliens vivent depuis des mois hors de leur pays en cherchant refuge contre l'insécurité ambiante dans des conditions de misère effroyables, que ce soit au
Niger ou en
Mauritanie.
Un coup d'État pour rien
Et maintenant ? Sous la pression internationale, et les menaces de la Cedeao, Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest, la junte a enfin capitulé dimanche matin en s'engageant à rétablir l'ordre constitutionnel. Un coup d'État pour rien, ou pour le pire ? Le comble est en effet arrivé lorsque la rébellion touareg, profitant de cette confusion trop longtemps entretenue, s'est empressée de passer à l'attaque : la ville de Kidal, puis celle de Gao et désormais la mythique et pacifique Tombouctou ont été conquises par des hommes armés jusqu'aux dents : nommés "revenants", ce sont d'anciens kadhafistes qui sont rentrés de
Libye après la mort de celui qui, pour eux et pour beaucoup d'autres, était le "roi des rois africains". Il suffit de se promener dans la capitale du Mali pour voir en termes immobiliers les investissements du Libyen dans le pays.
Difficile de croire à tant de légèreté de la part de ces putschistes, et même de naïveté puisque le capitaine Amadou Sanogo et son CNRDR, Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l'État, espéraient une négociation avec les rebelles, ou du moins une trêve des opérations... Tout au contraire, bien sûr, le MNLA, Mouvement national de libération de l'Azawad ne l'a pas reconnu comme interlocuteur et fait marcher ses troupes...
Si la situation du nord du pays a bien été sous-estimée, si la Cedeao n'a pas manifesté son soutien jusque-là au Mali dans une situation qui met l'intégrité du pays en danger, si les dommages "collatéraux" de la crise libyenne, avec le déferlement des armes, sont apparus manifestes ces derniers jours, il n'en reste pas moins aujourd'hui que le bilan de la junte est catastrophique : un coup d'État pour rien, une régression désolante pour un des pays les plus stables du continent.
Le Point.fr- Publié le 02/04/2012 à 20:09