Analyste politique Dr. Salifou Fomba, professeur a propos de la légalité des sanctions : Le Mali peut attaquer la CEDEAO en justice !

- la nature juridique de la CEDEAO,
- Ce que dit le traité révisé de la CEDEAO de 1993
- Article 25 intitulé « conditions de mise en œuvre»
- Article 22 intitulé « Missions de l’ECOMOG – Le Groupe de contrôle du cessez-le-feu - »
- Le Préambule :
- Les chefs d’Etat et de Gouvernement sont préoccupés par le fait que les conflits sont de plus en plus engendrés par la non-transparence du processus électoral ;
- Le Protocole de 1999 doit donc être complété dans le domaine de la prévention des crises intérieures, de la démocratie, de la bonne gouvernance et de l’Etat de droit.
- Section 1 Intitulée « Des principes de convergence constitutionnelle»
- Article 1er: « Les principes ci-après sont déclarés principes constitutionnels communs à tous les Etats Membres de la CEDEAO :
- Paragraphe 3 :« Pendant ladite période, la CEDEAO continuera de suivre, d’encourager et de soutenir tout effort mené par l’Etat membre suspendu aux fins de retour à la vie institutionnelle démocratique normale ».
- Paragraphe 4 : « Sur proposition du conseil de Médiation et de sécurité, il peut être décidé à un moment approprié de procéder comme il est dit à l’article 45 du protocole ».
- Section IV« du rôle de l’armée et des forces de sécurité dans la démocratie »
- Article 23 paragraphe1 : « les personnels des forces armées et ceux des forces de sécurité publique doivent recevoir une éducation aux principes et règles de la CEDEAO »
- de la suspension du Mali de tous les organes de décision de la CEDEAO jusqu’au rétablissement effectif de l’ordre constitutionnel,
- de la fermeture de toutes les frontières terrestres et aériennes,
- de l’arrêt de toutes les transactions financières,
- de l’arrêt de tous les flux économiques et commerciaux entre les pays membres de la CEDEAO et le Mali. Les sanctions imposées aux points b, c, et d comportent des dérogations, c’est-à-dire qu’elles ne concernent pas certaines catégories de marchandises, à savoir : (i) – les denrées de première nécessité, (ii) – les médicaments et autres produits et équipements de lutte contre la Covid-19, (iii) – les produits pétroliers et (iv) – l’électricité,
- de la mise en œuvre d’un ensemble de sanctions contre tous les militaires putschistes et leurs partenaires et collaborateurs.
- que la CEDEAO dénie momentanément au Mali le droit de participer à ses organes de décision,
- surtout que la CEDEAO impose au Mali un embargo économique et financier partiel,
- que les sanctions individuelles ne sont pas ici concrètement définies.
- « tout changement anticonstitutionnel est interdit de même que tout mode non démocratique d’accession ou de maintien au pouvoir », c’est ce qui ressort expressément de l’article 1er c) consacré aux principes de convergence constitutionnelle de la CEDEAO,
- « en cas de rupture de la Démocratie par quelque procédé que ce soit, la CEDEAO peut prononcer à l’encontre de l’Etat concerné des sanctions », dont la plus grave est « la suspension de l’Etat membre concerné dans toutes les instances de la CEDEAO », c’est ce qui ressort clairement de l’article 45 du protocole. En conclusion, on peut affirmer que la suspension du « droit de participation du Mali aux organes de la CEDEAO » en tant que forme de sanction trouve un fondement juridique dans le protocole, dans la mesure où une référence expresse y est faite, même si la notion de « rupture démocratique » soulève des questions de fond auxquelles le texte de la CEDEAO n’apporte pas de réponse, comme : la définition de la démocratie, les différentes formes de rupture, les différentes catégories d’auteurs de la rupture, les conséquences de la rupture en termes de légitimité et même de légalité etc. Cela dit, au final, on peut se mettre d’accord sur au moins un point, à savoir que ce qui s’est passé au Mali constitue bien un « changement anticonstitutionnel » provisoire de pouvoir, donc une « rupture provisoire » du fonctionnement des institutions démocratiquement établies au Mali ; même si le caractère véritablement démocratique des institutions maliennes est critiquable et pour cause : le seuil de légitimité électorale du Président de la République est faible, le caractère transparent et crédible du système électoral est souvent douteux, la volonté de bloquer l’alternance démocratique est toujours « latente » etc.. Définition du coup d’Etat - A propos de la question de savoir si ce qui s’est passé au Mali constitue un coup d’Etat, voici ce qu’on peut lire dans un livre de droit constitutionnel : « Le coup d’Etat est une rupture brutale de l’ordonnancement juridique. Le coup d’Etat est l’œuvre d’un groupe de conjurés, voire d’un individu, formant un complot. Sa réussite ne doit rien laisser au hasard et exige une technique élaborée. C’est pourquoi il est souvent l’œuvre de militaires ou appuyé par eux. Lorsque le coup d’Etat est de nature militaire, on parle aussi de putsch -mot allemand. Le coup d’Etat est toujours dirigé contre les institutions existantes, soit pour les renverser au profit d’autres gouvernants, soit au contraire pour modifier arbitrairement les institutions au profit des gouvernants en titre désireux de renforcer leur pouvoir. Cette deuxième forme s’appelle aussi coup d’Etat « de l’intérieur ». Ces ruptures de l’ordre constitutionnel sont parfois camouflées sous le prétexte du maintien de l’ordre public qui entraîne « la suspension de la constitution », c’est-à-dire sa mise à l’écart au profit d’un régime transitoire et arbitraire. De même, certaines violations manifestes de la constitution peuvent apparaître comme de véritables « coups d’Etat internes ».
- lorsqu’on lit le texte de l’alinéa h) du point 13 de la Déclaration qui contient la décision de l’embargo, on constate qu’il ne mentionne aucune référence juridique du genre de l’expression « conformément à »,
- ce texte n’utilise pas non plus le mot « embargo », mais en donne une définition pratique, fonctionnelle, opératoire en demandant aux Etats membres de prendre les mesures concrètes suivantes :
- fermez toutes vos frontières terrestres et aériennes avec le Mali,
- arrêtez toutes vos transactions financières avec le Mali,
- arrêtez tous vos échanges économiques et commerciaux avec le Mali,
- n’appliquez pas ces mesures aux marchandises ci-après :
- si l’on s’en tient à la portée ratione materiae limitée de l’article 45 du protocole de 2001, on est en droit de soutenir que la CEDEAO n’a aucune compétence expresse pour décréter un embargo contre le Mali,
- mais si on utilise la technique du package deal, en procédant à une lecture couplée du traité révisé de 1993, du protocole de 1999 et du protocole de 2001, il est possible de trouver un argument en faveur d’une telle compétence,
- l’idéal aurait été de suivre l’exemple de la Charte des Nations Unies, dont l’article 41 offre une base juridique assez claire aux décisions du Conseil de sécurité en matière d’embargo.
- c’est l’alinéa i) du point 13 de la Déclaration du 20 Aout 2020 qui demande la mise en œuvre immédiate d’un ensemble de sanctions contre les militaires putschistes et leurs partenaires et collaborateurs,
- ces sanctions ne sont donc pas précisées ici,
- l’alinéa i) n’emploie pas ici le mot « décision », mais formule plutôt une « demande », sans indiquer de référence quant au fondement juridique,
- certes, l’article 45 du Protocole de 2001 sur la Démocratie et la Bonne Gouvernance prévoit des sanctions contre un Etat en cas de « rupture de la démocratie », mais nulle part les auteurs de coup d’Etat sont expressément visés,
- tel est par contre le cas dans la Charte de l’Union Africaine sur « la Démocratie, les Elections et la Gouvernance » de 2007, dont le chapitre VIII est intitulé « Des sanctions en cas de changement anticonstitutionnel de gouvernement »,
- l’article 23 de cette Charte qualifie expressément de « Changement anticonstitutionnel de gouvernement passible de sanctions appropriées de la part de l’Union » « tout putsch ou coup d’Etat contre un gouvernement démocratiquement élu »,
- mieux, l’article 25 de la Charte retient contre les putschistes les sanctions ci- après :
- ne pas participer aux élections organisées pour la restitution de l’ordre démocratique,
- ne pas occuper des postes de responsabilité dans les institutions politiques de leur Etat,
- possibilité d’être traduits devant la juridiction compétente de l’Union Africaine,
- possibilité pour la conférence des Chefs d’Etat de décider d’appliquer d’autres formes de sanctions, y compris des sanctions économiques,
- devoir pour les Etats de ne pas accueillir ou accorder l’asile aux putschistes,
- obligation pour les Etats de juger ou d’extrader les putschistes.
- si l’on s’en tient à la portée ratione materiae stricte de l’article 45 du Protocole de 2001, on est fondé à affirmer que la CEDEAO n’a aucune compétence expresse pour sanctionner les putschistes,
- sous réserve, et pour mieux porter la contradiction, de connaitre la position juridique officielle de la CEDEAO à travers l’avis de son conseiller juridique,
- à défaut, on peut faire les remarques suivantes :
- la CEDEAO serait à l’abri du doute juridique si elle avait adopté des dispositions formelles semblables à celles de l’Union Africaine,
- la CEDEAO n’étant pas juridiquement partie, en tant que telle, à la charte de la Démocratie de l’UA, cette possibilité n’y étant pas prévue, elle a intérêt à formaliser au mieux son cadre de coopération avec l’UA, d’autant plus que cela est prévu notamment par les articles 2 et 44 de ladite Charte.
- le texte de l’UA ne contient aucune clause expresse sur sa compatibilité avec le texte de la CEDEAO, du genre, par exemple, de l’article 103 de la charte des Nations Unies,
- son article 52 précise néanmoins que la charte n’affecte pas les dispositions plus favorables relatives à la démocratie contenues dans tout autre traité régional en vigueur dans les Etats parties,
- dans le chapitre X consacré aux mécanismes de mise en application, il ressort de l’article 44 que :
- la commission de l’UA met en place un cadre de coopération avec les communautés économiques régionales pour la mise en œuvre des principes contenus dans la charte,
- à cet effet, la commission demande à ces organisations régionales de désigner les points focaux de suivi de la mise en œuvre des engagements et principes énoncés dans la Charte. Pour une discussion juridique de la question de l’ordre de priorité d’application des textes de la CEDEAO et de l’Union Africaine :
- il faut se tourner vers la convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités, dont l’article 30 est consacré à « l’application de traités successifs portant sur la même matière », tel est bien le cas du protocole de la CEDEAO et de la charte de l’UA qui portent sur la démocratie,
- il faut rappeler les données suivantes : le protocole de la CEDEAO est un traité restreint et antérieur, tandis que la charte de l’UA est un traité général et postérieur ; les Etats parties aux deux traités ne sont pas les mêmes ; les Etats parties au traité antérieur sont tous parties au traité postérieur ou censés le devenir ; le traité postérieur est muet sur son rapport avec le traité antérieur
- en faisant l’économie d’un débat par trop technique, on peut considérer que dans les relations entre les Etats parties aux deux traités c’est le principe « lex posterior » qui l’emporte, cette solution est conforme à la pratique interétatique.
- Domaines de compétence et saisine de la Cour de justice de la CEDEAO
- l’interprétation et l’application des textes relavant du droit primaire ou originaire,
- l’interprétation et l’application des textes relevant du droit dérivé,
- l’appréciation de légalité des textes de droit dérivé,
- l’examen des manquements des Etats membres aux obligations qui leur incombent en vertu des textes de droit primaire et dérivé,
- l’application des dispositions des textes de droit primaire et dérivé,
- les actions en réparation des dommages causés par une institution de la communauté pour tout acte commis ou toute omission dans l’exercice de ses fonctions,
- les cas de violation des droits de l’homme dans tout Etat membre. C’est l’article 10 qui détermine qui peut saisir la cour, à savoir :
- tout Etat membre pour les recours en manquement aux obligations des Etats membres,
- tout Etat membre pour les recours en appréciation de la légalité d’une action par rapport aux textes de la communauté,
- toute personne physique ou morale pour les recours en appréciation de la légalité contre tout acte de la communauté lui faisant grief,
- toute personne victime de violations des droits de l’homme, etc.
- c’est le Protocole de 2001 sur la Démocratie qui est le principal texte en cause,
- ce texte sanctionne bien en son article 45 le fait de « rupture de la démocratie »,
- mais si cet article mentionne expressis verbis la « suspension de l’Etat membre concerné dans toutes les instances de la CEDEAO », il ne fait aucune référence à l’ « embargo économique et financier » contre cet Etat ni à des « sanctions individuelles » contre les putschistes,
- or, le protocole de 2001 ne confère aucune compétence générale à la CEDEAO en matière de sanctions,
- il faut se rabattre sur le protocole de 1999 pour savoir que l’ECOMOG a compétence pour « appliquer les sanctions, y compris l’embargo ». Si la Cour de la CEDEAO veut porter la contradiction, elle doit donc trouver d’autres arguments juridiques crédibles,
- certes, le protocole impose au Mali le respect des « principes de convergence constitutionnelle », le Mali est donc tenu au respect du principe « pacta sunt servanda »,
- certes, l’article 45 du protocole met à la charge du Mali l’obligation de ne pas « rompre la démocratie »,
- certes, en faisant le coup d’Etat pour changer de gouvernement, le Mali a « rompu la démocratie »,
- certes, l’article 45 sanctionne les cas de « rupture de la démocratie »,
- mais pour imposer des sanctions, l’article 45 ne donne pas à la CEDEAO une compétence générale, un « blanc-seing » ; contrairement à l’Union Africaine dont le Conseil de paix et de sécurité « impose, conformément à la Déclaration de Lomé, des sanctions chaque fois qu’un changement anticonstitutionnel de gouvernement se produit dans un Etat membre » ; il dresse plutôt une liste énumérative concrète et précise de sanctions,
- or, parmi ces sanctions, la seule forme précise appliquée au Mali, qui est expressément prévue par l’article 45 est la « suspension du droit du Mali de participer aux organes de la CEDEAO »,
- par contre, et c’est le plus important et le plus grave, l’« embargo économique et financier » contre l’Etat malien et les « sanctions individuelles » contre les auteurs du coup d’Etat, ne figurent pas expressément dans la liste des sanctions prévues par l’article 45,
- contester la légalité de l’«embargo » et des « sanctions individuelles » décrétés,
- et demander la réparation des conséquences préjudiciables, c’est-à-dire des dommages « moraux » et / ou « matériels », subis par l’Etat malien et/ou les putschistes, et qui sont causés par ces décisions illégales.
- Ce que dit l’article 125 de la convention des Nations Unies de 1982 sur le droit de la Mer
- le Mali, en tant qu’Etat sans littoral, a le droit d’accès à la mer et depuis la mer,
- à cette fin, le Mali jouit de la liberté de transit à travers le territoire des Etats de transit par tous moyens de transport,
- les conditions et modalités de l’exercice de la liberté de transit sont définies par le Mali et les Etats de transit par voie d’accords,
- mais, les Etats de transit ont le droit de prendre les mesures nécessaires pour s’assurer que les droits et facilités accordés au Mali ne portent en aucune façon atteinte à leurs intérêts légitimes.
- Position juridique du problème
- la convention des Nations Unies sur le droit de la mer, dont l’article 125 accorde le droit d’accès libre à la mer,
- les accords de transit qui encadrent l’exercice de la liberté d’accès à la mer,
- la décision de la CEDEAO décrétant l’embargo, qui constitue une violation du droit de libre accès à la mer. D’où la question du lien juridique et de la priorité d’application de ces textes :
- lien entre le droit de la CEDEAO et la convention des Nations Unies sur le droit de la mer,
- lien entre le droit de la CEDEAO et les accords de transit,
- lien entre les accords de transit et la convention des Nations Unies sur le droit de la mer, dont l’articulation est définie par l’article 311de cette convention.
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