« Au Mali, la lutte pour la succession du président IBK a déjà commencé »
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Laisser passer la bourrasque
Plus grave est la réaction du pouvoir, plus occupé à ménager ses parrains qu’à apaiser les inquiétudes des citoyens. L’opposition, soucieuse de ne point déplaire à la France sur laquelle elle compte pour lui faciliter l’accès au pouvoir, en fait tout autant. Si elle rejoint les meetings et les marches de protestation des religieux, elle évite d’aller protester devant l’ambassade de France. A l’exception du parti de l’ancien premier ministre Zoumana Sacko, l’opposition reste évasive sur la question de la souveraineté nationale piétinée par les agissements occidentaux. Quant à la mouvance politico-religieuse, elle joue à fond la fibre nationaliste en dénonçant l’impérialisme français, mais en gardant le silence sur celui de ses parrains arabes du Golfe dont elle ne refuse jamais les subsides. Son but : se positionner dans la lutte pour la succession d’IBK. Car la bataille pour 2023 a en effet déjà commencé. En témoignent la démission du premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga et le dépôt d’une motion de censure par des députés du parti majoritaire et de l’opposition. Devant la cristallisation du mécontentement populaire autour de sa personne, le premier ministre a esquivé la charge et donné sa démission. Sa chute n’est pas une surprise. Enhardi par la victoire du président aux dernières élections dont il fut l’architecte principal, il se croyait essentiel au système mis en place. Dans la foulée, il érigea une machine à aspirer les militants et élus des autres partis politiques, surtout de son allié principal, le parti présidentiel, dont les dirigeants sentirent l’affront et entrèrent dans le jeu de sa déstabilisation. Son erreur fut de traiter avec mépris les adversités rencontrées. Il savait que le président n’allait pas de lui-même le congédier. C’est le parti présidentiel qui s’en chargea, joignant sa voix à celle de l’opposition parlementaire. Politicien aguerri, Soumeylou Boubèye Maïga reste l’un des acteurs les plus avisés et audacieux de la scène politique malienne. Il serait imprudent de l’enterrer prématurément. Il sait se tapir, laisser passer la bourrasque et guetter le moment propice pour rebondir. Ancien directeur des services de renseignement, il a certainement étoffé sa capacité de nuisance lors de son passage à la primature et n’hésitera pas à l’utiliser contre ses adversaires. Au Mali, les prochains règlements de comptes risquent d’être destructeurs. Quant à l’imam Dicko, président sortant du Haut Conseil islamique, il semble avoir pris une longueur d’avance. A défaut d’être roi, il se veut faiseur de roi. D’où son alliance avec les marabouts des milieux d’affaires, dont il est devenu le porte-drapeau. Il connaît suffisamment le landerneau politique en perte de crédibilité. Excellent tacticien, il avance ses pions, prend des risques et garde l’initiative par rapport aux autres acteurs.Système de prédation
Dans ce contexte de guerre larvée entre les acteurs politiques, que cherche le pouvoir en lançant une concertation nationale aux objectifs si limités ? Il ne veut pas prendre de risque, mais il joue en même temps avec le feu. Tout en montrant patte blanche à ses tuteurs internationaux, le régime fait le pari que ses opposants joueront le jeu prescrit par les puissances occidentales. Ce faisant, il fait fi de l’opinion de son peuple et de sa détermination à se faire entendre. Majorité et opposition veulent assurer la survie d’un système de prédation qui a fait jusqu’ici leur fortune commune. Arriveront-elles à s’entendre sur le partage du gâteau du pouvoir et à taire les ambitions des uns et des autres face à un pouvoir au bout du rouleau ? La concertation nationale ne réglera pas le fond du problème. Elle reprend la vieille méthode des conférences nationales basée sur l’auto-cooptation des élites. Le peuple sera mis à l’écart. On fera la sourde oreille face à ses murmures jusqu’à la prochaine secousse, qui risque d’être explosive. Mais le pouvoir semble avoir perdu tant de crédibilité qu’il lui sera difficile d’en assurer la maîtrise d’œuvre et de conduire le processus. Saura-t-il dénicher les hommes indépendants et crédibles pour le faire ? L’opposition n’exigera-t-elle pas de placer des gens de son bord ? Ne risque-t-on pas de retomber dans un consensus fourre-tout ? Sans indépendance véritable de la structure chargée de l’organiser et de la piloter, la montagne risquera d’accoucher d’une souris.Crise systémique
Le régime semble avoir perdu l’initiative. Au-delà de son discrédit, sa fragilité vient de sa faible capacité d’anticipation. Il puise essentiellement dans des ressources humaines peu à même de lui apporter le souffle rénovateur dont il a tant besoin. Son manque de vision et de courage politique, son alignement sans discernement derrière les forces étrangères auxquelles il a confié sa survie, le déconsidèrent auprès de son peuple. Le Mali a pourtant besoin de vraies réformes et d’un changement réel de leadership.Issa N’Diaye, ancien ministre malien de la culture et de l’éducation, est professeur de philosophie à l’université de Bamako.
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