L'image tournait sur toutes les chaînes télévisées : lors de l’investiture, au CICB, du Pr. Dioncounda Traoré, Président de la République par intérim, on a vu, à la stupéfaction générale, le Capitaine Sanogo faire allégeance au nouvel homme fort du pays. Cette transmission du pouvoir par la « Grande muette » (l’armée), qui a joué sa partition en entrant ainsi dans l’histoire, constitue le début d’un amalgame politico-militaire qui risque de faire voler en éclats l’entente au sein du peuple et la vie politique malienne. Celui qui connaît l’évolution de l’histoire malienne par rapport à l’armée peut facilement imaginer la suite de ce bicéphalisme au sommet de l’Etat que le pays a tendance à vivre actuellement.
En fait, l’entente entre les deux « frères » (Dioncounda et Sanogo) n’aura duré que le temps de « faire les yeux doux » à la CEDEAO. Les rivalités ont alors vite surgi pour tourner non seulement autour de la gestion du « butin » (le pouvoir), mais aussi autour de la crise de confiance entre les acteurs de la vie politique. Ces dissensions sont apparues au grand jour avec le coup d’Etat survenu le 22 mars dernier : d’un côté les pro-militaires et de l’autre les contre. Dans leur guerre, les deux « frères » risquent d’atteindre ainsi le point de non-retour. A partir de ce instant, chaque camp affûte ses armes, « passe en revue » ses proches et fidèles, s’assure de ses soutiens à l’intérieur et à l’extérieur, et s’engage dans une diabolisation de l’autre. Dans cet exercice de lynchage médiatique, les « contre » avec leur statut de ténors de la classe politique, ont pris une longueur d’avance sur les pro-militaires.
Pendant que les proches du retour à l’ordre constitutionnel se battent pour le retour de l’ordre constitutionnel, le camp adverse s’attaque aux militants proches du premier groupe. Le Capitaine Sanogo multipliait les gestes humanitaires auprès des populations pour leur démontrer qu’il était l’homme de la situation, celui qui peut mieux incarner la bonne gouvernance. Mais depuis le retour des protagonistes de la capitale burkinabé, le capital de sympathie que certains Maliens manifestaient envers la junte militaire s’est amenuisé surtout au fil du temps. Avec l’arrestation, ces derniers jours, d’officiers généraux, de personnalités civiles et politiques et de membres du mouvement FDR, pour la grande majorité issus de l’ancien régime, ressemble à une vengeance des militaires qui les accusent ainsi de n’avoir pas tenu parole. Pour la junte, c’est une manière de signifier aux nouvelles autorités du pays et à la communauté internationale que ses membres sont toujours au devant de la scène des prises de décision.
Une semaine après l’investiture du Président de la République intérimaire, l’ancien Instructeur de l’EMIA et diplômé en maniement des armes de guerre, n’a relevé aucun défi qui puisse attester que son coup d’Etat est salutaire pour le Mali. Aujourd’hui, le Capitaine Sanogo est un homme isolé non seulement de sa famille professionnelle, mais vis-à-vis de l’ensemble des Maliens. Dans sa tour d’ivoire, voire d’armes (Kati) où il jouit du pouvoir, ses fidèles (et ceux qui font semblant de l’être) lui fournissent régulièrement de faux rapports et renseignements qui l’éloignent de plus en plus du système. C’est pourquoi il se croit très populaire aux yeux des Maliens et est donc décidé à ne pas se « laisser conter fleurette ». Suite à la signature de l’Accord-cadre donnant plein pouvoir au Chef de l’Etat intérimaire, Le Capitaine s’est-il donc autoproclamé « Président bis » de la République, surtout au regard de ses agitations de ces derniers jours. Il y aurait-il donc actuellement deux Chefs d’Etat au Mali, si l’on se réfère aux faits et gestes du Capitaine Sanogo qui semble ne pas accorder de la considération pour le Président investi ? La situation est telle qu’on ne sait pas avec certitude ce qui peut arriver au sein de la « Grande muette » de ce pays qui connait déjà des poches de rébellion contre le pouvoir.
Au regard des condamnations, et suite à l’arrestation de généraux et d’officiels par la junte militaire, on ne peut plus savoir ce que le Capitaine cherche exactement.
En tout cas, en restant dans la logique de ce bras de fer entre les deux « frères » (Le Capitaine et Dioncounda), il y a quelques cas de figure : soit Dioncounda Traoré prend ses responsabilités et contrecarre les velléités des militaires, avec le concours de ses pairs de la CEDEAO ; soit il « jette carrément l’éponge » et fait coalition avec les politiques pour bouter la junte hors de la scène politique ; soit la situation lui échappe et alors tout peut arriver. Toujours est-il qu’on s’attend une fois de plus à des lendemains pleins d’incertitudes, surtout avec les agissements du Capitaine. Toute chose qui ramène à la question : entre le Capitaine Sanogo et le Chef de l’Etat intérimaire, qui dirige réellement le pays à l’heure actuelle ?
Paul N’guessan