Le Mali dépasse toutes les prévisions en ce moment et Dieu sait ce que lui réservent les jours prochains. Pourtant, le chaos-mère est venu du Nord, précipité par la victoire militaire de la rébellion. Pour être exact, il faut dire la victoire des jihadistes d’Aqmi ou de Mujao dot Ansardine n’a été que les lunettes fumées et le Mnla une filière de blanchiment. Pour partie, l’explication de la malédiction nationale se trouve dans l’indifférence nationale à l’égard du chaos d’un Nord sanctuarisé par le crime organisé depuis bien des années et que nous aurions beaucoup plus dénoncé si ça se passait à Sikasso ou Kayes.
[caption id="attachment_49332" align="alignleft" width="150" caption="Adam Thiam (Le Républicain)"]
![](http://www.maliweb.net/wp-content/news/images/2012/02/adam_thiam_republicain1.jpg)
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Pour partie, la République a été humiliée sur le front du Nord par son armée y compris la chaîne de commandement. Il ne sert à rien de l’occulter si on veut changer la sinistre réalité. Pas plus qu’il ne sert à quelque chose de mettre nos seuls soldats à l’index puisque c’est tout le système lui-même qui est médiocre : la famille s’est désincarnée, la jeunesse a été abandonnée, la morale est dévoyée, la société est corrompue, les non-valeurs et les contre-valeurs dominent, c’est le règne des sauf-conduits et des passe-droits, et les validateurs les plus en vue sont autant de prisonniers de droit commun là où l’imputabilité n’est pas un slogan creux. Seule consolation, l’excellence n’est venue que de nos artistes, curieusement la couche la moins assistée par l’Etat. Et cette médiocrité est telle que nous n’avons même pas pu empêcher le putsch du 22 mars ni encore décidé d’en tirer les leçons. Pour rester le Mali et pas devenir la Somalie. Parce que hélas le Mali a deux des ingrédients qui ont fait de ce pays de la Corne de l’Afrique un ensemble de dominions régis par le canon et la terreur. Premier ingrédient : l’accès aux armes. Celui-ci ne s’est jamais autant démocratisé malgré les projets initiés ces dernières décennies contre leur prolifération. De par sa position géographique, ses faibles capacités et la vénalité de ses systèmes de surveillance, le Mali est une zone de transit des marchands de la mort prestataires de la sous-région. Et puis, il y eut les sorties, pas les rentrées d’armes pour la guerre de l’Azawad qui a éclaté dans l’interrègne, une période propice à la distraction. Deuxième ingrédient : les milices gouvernent au Nord tandis que les troupes au Sud semblent échapper à l’autorité des institutions légales. Cette armée, les masses et même les élites courent, à cet égard, le risque de se « privatiser » entre plusieurs enjeux. Illustration : la consternante violence sur la personne du président de la République en ses locaux et qui en dit plus qu’un livre sur la capacité d’auto-perversion du pays. Or malgré nos offenses à la paix et à la stabilité du pays, le Mali a les ressorts pour rebondir et ne pas sombrer comme des états de triste référence. D’abord, parce que retour à l’ordre constitutionnel, s’il n’est pas linéaire, est en cours. Vrai, la légalité se saurait être effective sans une armée sous le contrôle des institutions légitimes. Vrai, le besoin d’une armée républicaine est maintenant criard. Mais en termes de sortie de crise, nous sommes bien plus proches de la lueur en cette fin mai qu’en fin mars où nous redoutions le raidissement de la junte ou en fin avril où l’ex junte avait écarté la présidence de Dioncounda après les quarante jours. L’espoir est aussi permis par notre capital social, c'est-à-dire le petit liant qui nous tient ensemble. Ce capital a été sur-sollicité par plusieurs crises et contradictions. Mais l’indice de cousinage, la probabilité d’être l’oncle ou le neveu de celui qui doit vous tuer ou que vous devez tuer sont très élevés ici. C’est une des bouches d’incendie contre les pyromanes érigés en idéologues de l’autarcie mais qui savent bien que le Mali de 2012 ne peut pas survivre à la communauté internationale dont elle bénéficie de ressources conséquentes et dont elle menace la sécurité. Le vivre en commun ici n’est pas seulement un projet mais une nécessité pour mutualiser nos solutions individuelles contre la précarité. La formule d’Ousmane Sy n’est pas que belle mais exacte quand elle dit qu’ici c’est la nation qui se cherche un Etat. Et pas l’inverse. Y compris dans l’Azawad dont les populations nomades au lieu d’accueillir les rebelles en libérateurs ont préféré les camps de réfugiés. D’ailleurs ils sont nombreux les militaires loyalistes ou les familles de ceux-ci qui doivent une fière chandelles aux civils touareg au plus fort de la crise. Mais pour que le Mali que nous avons voulu en mars 1991 reste sur orbite, son capital social doit s’appuyer sur un projet évalué et refondé. Car l’appel de sang nouveau et de nouvelles légitimités confusément exprimé par le citoyen lambda est sincère. En dépit de la posture inquiétante de pêcheurs en eaux troubles qui veulent l’instrumentaliser à leur seul profit. Reste que nous devons rejeter la démocratie de façade, refuser les élections-bidon, la gouvernance de dissimulation et les logiques d’exclusion dont l’Afrique est la piteuse vitrine. Et entre Bamako et Kati, le serment pour un Mali grand plutôt que pathétique est une urgence pressante.
Adam Thiam