Bamako souffre, ces derniers temps, d'une véritable invasion de policiers sans que l'on sache si ces éléments rançonneurs maintiennent l'ordre ou préparent la 3ème guerre mondiale. Les paisibles populations en ont vraiment marre.
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![](http://www.maliweb.net/wp-content/news/images/2012/05/patrouille-police.jpg)
une patrouille de police (photo archive)[/caption]
C'est devenu l'intempérie malienne de l'année, comparable en ampleur à l'ouragan
Sandy qui vient de frapper les Etats-Unis d'Amérique: on ne peut plus traverser une rue, à Bamako, sans tomber sur un policier en faction. Ou plutôt sur un groupe de policiers habillés et casqués comme des martiens. Il est vrai que le pays est gouverné depuis 6 mois par un visiteur de la planète Mars et qu'un martien en appelle toujours un autre... En tout cas, nul n'a besoin d'un doctorat en statistiques pour constater que notre belle capitale compte le plus grand nombre de policiers au mètre carré. Du temps du
"Vieux Commando", on en voyait 2 ou 3 par carrefour ; à présent, les effectifs ont triplé. Le nombre de postes aussi. Certains agents, ne trouvant peut-être pas de poste de faction, choisissent les grands arbres bordant les routes pour tenir boutique.
Or donc, le bon peuple se demande ce que foutent tous ces agents dans la circulation. Préparent-ils une guerre ? On en doute car ce rôle revient, en principe, à l'armée nationale qui, pour le moment, observe un
"repli stratégique". Alors les policiers veulent-ils renforcer la sécurité des citoyens ? Pas sûr : jamais, en effet, l'insécurité routière et urbaine n'a été aussi forte que maintenant. Je me suis laissé dire qu'en réalité, messieurs les poulets (excusez ce vilain mot lu dans un roman...policier) squattent les rues et les carrefours pour se faire les poches sur le dos des usagers. Chassés du nord par Iyad Ag Ghali, les policiers naguère déployés à Tombouctou, Gao et Kidal sont venus s'ajouter à ceux de Bamako pour faire la fête. Et quelle fête ! Rien ne leur échappe en matière d'infraction routière. Dotés d'une vue d'aigle, les compères répèrent à un kilomètre toute vitre de voiture dépourvue de vignette, de certificat de visite technique ou d'attestation d'assurance. L'automobiliste en faute subit alors un concert de sifflets si trépidant que s'il n'est pas très prudent, il renverserait aussitôt les passants.S'il parvient à prouver toute absence de faute de sa part, ce qui relève du miracle, l'agent invente aussitôt une infraction et ce n'est pas le vocabulaire qui manque: manoeuvres dangereuses, pneus usés, feu rouge abîmé, etc. Bien sûr, entre Maliens, tout se règle toujours à l'amiable: la rançon à payer pour éviter la fourrière s'élève à 1 000 FCFA. Comme les taximen et autres transporteurs en commun doivent intéresser plusieurs gardiens de carrefour par jour, le taux de leur imposition est négocié à la baisse: 500 FCFA. Les camions-bennes et autres engins gros-porteurs mettent au pot 5000 FCFA.Après ça, libre à eux de dégager autant de fumée carbonique, d'embarquer autant de bagages et de rouler avec autant de vitesse qu'ils veulent ! Vous ne verrez pas un policier courir à un lieu d'accident sans y être invité par les accidentés, lesquels, bien entendu, doivent se délester de 12 500 FCFA au titre des frais de constat. Les embouteillages ont beau atteindre 2 ou 3 km, nos fameux gardiens de la paix s'en moquent; ils attendent tranquillement qu'un violent accrochage se produise pour s'amener, la poche grande ouverte.
Il faut savoir que les carrefours de la ville ne rapportent les mêmes rançons à leurs gardiens en uniforme; certains carrefours sont fort juteux, d'autres un peu moins. Selon le dégré de rentabilité, qui dépend lui-même de la densité de la circulation locale, les carrefours portent des noms différents dans le jargon policier.
Il y a, par exemple, "Koweit- City", du nom du richissime émirat pétrolier du Golfe; il s'agit du carrefour de l'autogare de Sogoniko, fréquenté, comme on le sait, par une foule interminable de cars, de bus, de taxis et de "Sotrama". Donc du gibier en masse ! C'est là que sont postés les policiers les mieux introduits auprès de la hiérarchie. Tout chef de poste qui y passe une journée encaisse un butin digne d'un émir. Ce butin s'entend en hors taxes, car de retour à la Maison Poulet, le bienheureux chef de poste doit remettre une ristourne au supérieur qui lui a fait l'insigne faveur de le déployer à "Koweit-City".
Un autre poste juteux s'appelle Dubaï: il s'agit de l'entrée du Pont des Martyrs. C'est une zone difficile à éviter par tous ceux qui font le va-et-vient entre les deux rives du fleuve. Par conséquent, la dîme policière n'y risque aucune pénurie, pas plus qu'on n'imagine une pénurie de pétrole dans l'émirat de Dubaï.
Le poste de Sébénicoro (route de Guinée) porte le surnom de Riyad, la capitale saoudienne; celui de Sénou (route de Sikasso) s'appelle Abou Dabi, autre pétro-Etat arabe. Quant au rond-point de Sotuba, il a longtemps symbolisé la misère du fait que les travaux du 3ème pont de Bamako y empêchaient la circulation: pour cette raison, les académiciens de la police lui ont donné le surnom de Baghdad, ville irakienne connue pour abriter la désolation. D'autres postes du genre portent les sinistres noms de Bassorah (rude province irakienne) ou de Gantanamo (camp infernal où les Américains internes les terroristes).
Le rançonnement quotidien des usagers se fait au vu et au su de tous. Les autorités ne peuvent l'ignorer, à moins qu'elles n'aient perdu l'ouïe et la vue. Comment veut-on que le transport national s'améliore quand chaque transporteur est autorisé, moyennant 500 ou 1000 FCFA, à mettre en circulation des corbillards ? Comment alimenter le trésor public quand l'argent des contraventions prend tout droit une destination privée? Pourquoi ces pratiques s'arrêteraient-elles si jamais aucune sanction n'est prise contre aucun agent ?
Le comble, c'est que lespostes de faction ne suffisent plus à l'appétit des agents de police. Certains ont inventé les postes mobiles: juchés sur des motos Jakarta, ils vous pourchassent jusque chez vous pour vous soutirer ce qu'ils estiment être leur dû. D'autres agents préfèrent jouer les mendiants: ils vous sifflent pour vous demander, ensuite, de leur donner de quoi acheter du riz car, à les en croire,
"les temps sont durs". D'autres agents, enfin, se dissimuler comme des chasseurs derrière des arbres afin de pouvoir surprendre des usagers en faute: or le but du déploiement des forces de l'ordre sur les artères urbaines est de dissuader les usagers de commettre des infractions!
En dehors de Bamako, le tableau présente la même couleur sombre. Les transporteurs courageux qui font la navette entre le nord et le reste du pays sont, au retour du nord occupé, cueillis à froid par les policiers de Sévaré, postés là à l'abri des vents de sable et des terroristes islamistes. Les malheureux transporteurs sont alors sommés de payer toute la dîme qu'ils payaient en temps normal, quand les postes de police étaient installés à l'entrée de chaque ville du septentrion. En somme, une session de rattrapage : il n'y a jamais ni crise ni manque à gagner dans la police ! Après AQMI, Ansar Dine et le Mujao, il va sans doute nous falloir une force spéciale de la CEDEAO pour examiner le cas des poulets...
Tiékorobani
Les populations de Koutiala affrontent la police
Depuis quelques semaines, une vive tension régnait entre la police et les populations de Koutiala. Les choses se sont davantage gâtées le lundi 5 novembre 2012. Ce jour-là, un motocycliste, arrivant au rond-point central de la ville, s'est vu siffler par un policier en faction; le motocycliste, qui ne veut pas se faire arrêter ni payer la traditionnelle rançon, rebrousse chemin à la hâte. Dans sa manœuvre, il croise un automobiliste qui venait à vive allure. La voiture, cherchant à éviter le motocycliste, percute violemment trois piétons, lesquels sont grièvement blessés. La foule de badauds qui se forme immédiatement sur le lieu de l'accident en attribue la responsabilité à l'agent de police, accusé d'avoir sifflé au mauvais moment et affolé le motocycliste. Après que la protection civile eut transporté les trois blessés à l'hôpital, la foule décide de lyncher l'agent de police. Ce dernier ne doit son salut qu'à l'extrême agilité de ses jambes. Néanmoins, la foule est résolue à régler une bonne fois pour toutes le compte de tous les policiers de Koutiala. De façon spontanée, elle se dirige vers le commissariat local, promis au saccage. Les policiers vont à la rencontre des marcheurs qu'ils essaient de disperser. Ils sont toutefois débordés par la foule qui ne cesse de grossir. La gendarmerie est appelée en renfort. Avant qu'elle n'arrive, les manifestants saccagent tous les hangars des policiers construits en ville et brulent des pneus le long des rues. La gendarmerie, avec l'aide du commissaire de police, parvient enfin, sans user de la force, à calmer la foule avant qu'elle n'atteigne le commissariat. Les notabilités, après le retour au calme, ont salué les efforts du commissaire de police qui a évité le pire en empêchant ses éléments de tirer sur la foule. Le commissaire avait bonne réputation: il avait déjà mis en garde ses éléments contre le fait de donner la chasse aux usagers qui refuseraient d'obtempérer à leurs coups de sifflet.