Il n’est point besoin de dire que le Mali est gelé dans un imbroglio sociopolitique qui est loin d’arriver à son terminus, et qui continue de plus en plus à offrir aux observateurs de l’actualité une succession d’évènements les uns aussi inquiétants que les autres. Sans être vraiment un oiseau de mauvais augure, il faut dire que la sombre démission du premier ministre Cheick Modibo Diarra a contribué à l’apparition d’un certain nombre de questions destinées, en gros, à saisir le rôle réel de la junte de Kati dans le processus de transition (1). Une junte qui, dans ses agissements, devient de plus en plus imprévisible pour ne pas dire impossible…, et dont l’attitude inébranlable laisse comprendre qu’elle veille au grain, garde un œil sur tout le monde; pour ne pas dire autre chose, elle surveille Bamako comme du lait sur le feu.
[caption id="attachment_63689" align="alignleft" width="300"]
![](http://www.maliweb.net/wp-content/news/images/2012/04/junte22.jpg)
La junte maliene menée par Amadou Haya sanogo, le 3 avril à Kati. © AFP[/caption]
Mais l’une des explications qui manque le plus, c’est qu’à la vérité personne n’est en état de dire qui gouverne réellement dans ce pays, ce qui d’ailleurs en dit long sur l’imbroglio. Interpellations, agressions contre les journalistes, tentatives d’enlèvements dans les services publics (le cas de la directrice de l’APEJ), la liste n’est pas exhaustive : voilà autant de motifs d’inquiétude qui interpellent à propos de la junte de Kati, lequel est à deux doigts d’enfourcher une allure impériale. Alors, difficile de ne pas poser ces questions : que veut la junte ? Que peut-on faire pour l’empêcher de franchir la ligne blanche ?
Disons tout simplement que ces questions appellent une seule réponse qui consiste à dire que d’une part, la junte militaire à écouter son moteur qu’est
Amadou Haya Sanogo, entend purement et simplement amener les meneurs de la transition à ne pas sortir des rails (comme l’a fait, à ses dires,
Cheick M. Diarra) et, d’autre part, à tabler sur le déficit de légitimité dont ils souffrent pour se comporter comme le charbonnier est maître chez soi ! Et, en effet comme chacun le sait, le manque de légitimité du président intérimaire et du premier ministre tient au fait qu’ils ne sont pas le fruit du choix de leur peuple, mais de quelques individus. Dès lors, on comprend sans mal que cette junte a une marge critique dont elle ne se prive pas d’ailleurs et c’est aussi pourquoi on ne peut pas ne pas cautionner les commentateurs qui indiquent qu’elle aura les coudées franches jusqu’à ce que les élections se tiennent et offrent au pays des dirigeants légitimes.
Au-delà des polémiques que soulève ces derniers temps la junte, il serait intéressant de se laisser aller à une réflexion dont le contenu est que le personnel politique malien ne sait pas ce qu’il veut ou cherche, et pire, se trouve bloqué dans des querelles de personne au nom d’intérêts égoïstes. Sinon qui peut trouver justification à sa capacité d’être uni par une lâcheté intéressée lorsqu’on en avait pas besoin_ c'est-à-dire sous le régime d’ATT_ et se déchirer au moment où le besoin se fait pressant ?(2) A la vérité, les regroupements politiques nés du putsch, aussi circonstanciels qu’ils puissent paraître, donnent le sentiment d’être hors d’état de trouver une orientation précise dans cette période critique. Il va sans dire que, à force de s’enfoncer dans des calculs incohérents, ces derniers se cantonnent dans des postures qui ne cadrent pas avec les réalités que le pays connait actuellement. La conséquence fut qu’aujourd’hui nous avons un pays qui n’est pas mobilisé autour d’un idéal commun pouvant permettre de retrouver une stabilité. Chose frappante, cette classe politique a eu à ce point conscience de son affadissement qu’elle a invoqué_ cela ne se fait plus sous le manteau_ le soutien de dignitaires religieux, accélérant ainsi l’apparition dans l’arène politique de ces derniers, qui tiennent en laisse l’écrasante majorité de l’opinion publique. Sauf que cette prégnance du religieux islamique dans le débat sociopolitique ne date pas d’aujourd’hui et pourrait avoir comme berceau la période qui consacre la mise sur pied du Haut Conseil Islamique (HCI). Dans une tribune publiée par « Les Echos », Naffet Kéïta, maître assistant à l’ULSH, estime que c’est surtout l’occupation des régions du Nord du Pays, et le coup d’état du 22 mars ayant occasionné une instabilité sociopolitique et institutionnelle, qui apparaissent comme les
« divers évènements (qui) ont consacré la désaffection de la chose publique chez nombre de maliens et leur refuge dans la religion… »(3). En outre, il va loin en écrivant que ce regain du religieux islamique n’est en rien une nouveauté :
« Depuis la mise en place du HCI au Mali, on sent une montée en puissance de l’islam sunnite…Nous relevons que lors des élections présidentielles de 2002, deux candidats estampillés « islamistes » ont été enregistrés : le candidat de l’union nationale pour la renaissance (UNPR) et un prêcheur célèbre qui travaille à la coopération islamique, Youssouf Diallo ; l’appel de certains religieux à voter pour le candidat du regroupement Espoir 2002, Ibrahim Boubacar Keïta, IBK ; prolifération des Dawa « appels à Dieu du tabligh pakistanais » et leurs accointances avec l’ALQAIDA, aujourd’hui avérées…. »
Pour lui, cet état de fait n’est pas sans explication et impose un constat qui est que la démocratie et le multipartisme ne font plus rêver, que face au processus de mondialisation se dresse un
« autre processus de désintégration territoriale, de nationalisme ou d’ethnicité local ou transfrontalier (qui prend la forme d’un djihad) ». Aussi faut-il ajouter que tout cela fait irruption dans une société où l’altruisme, le patriotisme et la défense de l’intérêt collectif sont fichtrement absent dans le vocabulaire des mœurs.
(1) CMD part, l’Etat continue, Le Flambeau
(2) Le consensus à la malienne, éditorial, Le Flambeau
(3) Ecoutez-vous les « Kutuba » de nos imams ?, Naffet Kéïta, Les Echos
Boubacar Sangaré