Crise politico-militaire au mali: La solution ne réside plus dans la loi

Août 9, 2012 - 05:34
Août 9, 2012 - 05:36
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L'erreur fondamentale des protagonistes de la crise politico-militaire malienne est de vouloir la résoudre par des artifices légaux alors que la légalité a trouvé en notre pays un cimetière de luxe. Commençons par l'Accord-cadre du 6 avril 2012. Ce texte que chacun semble prendre pour la règle d'organisation des pouvoirs de transition est frappé d'illégalité. Il n'est ni une loi  (aucun député malien ne l'a voté), ni un décret (aucun président de la République ni aucun Premier ministre ne l'ont signé), ni une norme quelconque de l'ordre interne malien car ses seuls signataires (la CEDEAO et le CNRDRE) n'avaient pas qualité légale pour représenter le Mali. Alors, l'Accord-cadre est-il un traité international ? La réponse est encore une fois négative. En effet, aux termes des articles 114, 115 et 116 de la Constitution du 25 février 1992, c'est le Président de la République qui négocie les traités, lesquels  n'entrent en vigueur qu'une fois ratifiés par le parlement puis publiés, sous reserve de leur application par toutes les parties prenantes. Or l'Accord-Cadre n'a été ratifié par aucun député et son application par les signataires laisse à désirer. L'illégalité de l'Accord-Cadre se renforce, de surcroît, avec sa prétention à donner les "pleins pouvoirs" au Premier ministre de la transition: non seulement la notion de "pleins pouvoirs" n'est expliquée par aucun texte légal (elle dégage plutôt des relents de IIIème Reich hitlérien!), mais elle jure aussi avec le "retour à l'ordre constitutionnel". Cet "ordre constitutionnel" que l'Accord-Cadre visait, fort curieusement, à réaliser repose sur la séparation des pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire) et non (trois fois non!) sur leur réunion dans une seule main. Point donc n'est besoin d'être grand clerc pour comprendre que l'architecture institutionnelle de la transition malienne est bâtie sur un Accord- Cadre illicite. Dans ces conditions, comment s'étonner que le pays patauge allègrement dans la confusion ? Et les acteurs de la transition paraissent prendre un malin plaisir à épaissir chaque jour davantage les ténères juridiques. Citons, à titre d'exemple, cette loi scélérate par laquelle les députés ont prorogé leur propre mandat, comme s'ils avaient peur de retourner devant le suffrage universel ou qu'ils se piquaient d'accaparer, sans droit, des salaires et des primes ! Les mêmes députés, décidément fâchés avec leur vocation normative, ont cru bon de voter une loi d'amnistie des pustchistes du 22 mars, violant ouvertement l'article 121 de la Constitution qui dispose: "Tout coup d'Etat ou putsch est un crime imprescriptible contre le peuple malien.". Pour ceux qui l'ignoreraient, le qualificatif "imprescriptible"  s'applique à un crime que le temps ne saurait effacer... En fait d'errements juridiques, la CEDEAO se trouve, elle aussi, en terrain connu. Comme si elle exerçait un mandat colonial sur notre pays, elle a décrété, sans autre forme de procès, que le président intérimaire, Dioncounda Traoré, présiderait la transition. Et de pousser la hardiesse jusqu'à intimer au Mali, pays souverain depuis 52 ans, l'ordre de former un gouvernement d'union nationale avant le 31 juillet 2012 ! Elle n'en est d'ailleurs pas à son coup d'essai puisqu'au mépris de l'Accord-Cadre qu'elle a signé, et qui fait du CNRDRE un acteur central de la transition, la CEDEAO demande à présent la dissolution de cet organisme. L'appétit venant en mangeant, la CEDEAO a décidé de ne pas reconnaître au capitaine Amadou Sanogo le statut d'ancien chef d'Etat que lui a octroyé le médiateur attitré de l'institution sous-régionale... De ce qui précède, nous concluons que la légalité n'a plus droit de cité au Mali. Elle n'y reviendra probablement pas de sitôt puisqu'à la faveur de la crise politico-militaire que nous traversons, chaque citoyen, du boucher au planton, du forestier au boulanger, s'est découvert de sérieux talents de juriste et se prend pour Maurice Duverger. Des compères, qui ont sans doute appris la doctrine révolutionnaire dans un puits, croient ainsi possible d'organiser une "Convention Nationale" destinée à désigner le président de la transition - excusez du peu! D'autres parlent de "concertations nationales" chargées de doter le pays d'un nouveau président et d'un nouveau gouvernement. Ces messieurs nourriraient-ils la nostalgie de la Grèce antique où les affaires de la nation se décidaient, entre deux foires, sur la place publique ? Le président de la transition lui-même, pour ne rien arranger, propose de créer, pour réussir la transition, un Haut Conseil d'Etat et deux postes de vice-président. Comment créer ces postes alors que la Constitution ne les prévoit pas ? Et à quoi servirait un Premier Ministre placé sous la férule de ce pesant triumvirat présidentiel? En toute hypothèse, s'il fallait traduire dans les faits les propositions présidentielles, il faudrait réviser la Constution, ce qui nécessiterait un référendum impossible à organiser dans un pays aux deux tiers occupé. Les Maliens seront bien avancés d'admettre qu'en fin de compte, la solution de la crise ne réside plus dans la loi. De quelque côté que l'on se tourne, celle-ci repose dans un cercueil dont des légistes improvisés enfoncent les clous. Par conséquent, il faudra explorer une voie de sortie politique. Mais laquelle ? A notre avis, tout compromis politique tendant à sortir notre pays du tunnel doit obéir à trois principes de base. Le premier consiste à associer toutes les forces vives à la gestion des affaires publiques. Certes, le gouvernement de Cheick Modibo Diarra ne manque pas de compétence mais une transition, période hautement périlleuse car extra-légale, requiert plus un gouvernement représentatif qu'un gouvernement compétent. C'est l'ouverture du pouvoir de transition à toutes les forces représentatives qui permettra de résoudre la crise politique au sud, préalable à la résolution de la crise militaire au nord. Le deuxième principe consiste en une feuille de route approuvée par la communauté internationale. Quelle que soient leur bonne volonté, les autorités de la transition ne produiront aucun résultat si elles ne parviennent pas à mobiliser l'appui politique, financier et militaire international nécessaire pour maintenir le pouvoir d'achat des Maliens et bouter les rebelles hors des territoires occupés. Croire que le Mali résistera à un embargo international ou atteindra ses objectifs par ses seuls et dérisoires moyens est une grave illusion. Il nous faut comprendre que l'ingérence de la communauté internationale dans ce que nous prenons pour nos affaires intérieures vient de ce que le péril terroriste qui s'est installé dans le nord du Mali plonge dans l'insécurité tout le sahel et enfreint les intérêts stratégiques des puissances occidentales, lesquelles, pour moins que cela, ont déjà mené des guerres en Irak, en Afghanistan, en Somalie et ailleurs. Le troisième principe consiste à redéfinir la démocratie malienne.Depuis 1991, date d'avènement du pluralisme politique, notre pays n'a pas connu de scrutin transparent; chaque élection voit triompher les forces d'argent et les manitous de la fraude. Résultat: des gouvernants faibles parce que conscients de leur illégitimité; un Etat frileux qui, au premier coup de boutoir rebelle, fuit les deux tiers de son territoire; une armée en déliquescence car malicieusement combattue par le pouvoir politique; une classe politique qui n'a, pour tout programme, que l'entretien du tube digestif; une justice décriée; une économie corrompue; une société livrée à l'anarchie. Ce tableau sombre n'était sûrement pas l'objectif des martyrs du 26 mars 1991. La transition doit le redorer afin que la démocratie malienne renoue avec les Maliens et que les partisans du changement se réconcilient avec les orphelins de l'ère ATT. Par Maître Cheick Oumar Konaré Avocat à la Cour

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