Démocratie et gouvernance politique au Mali : Les premières leçons à tirer du coup d’Etat du 22 mars 2012

Avr 12, 2012 - 18:40
Avr 12, 2012 - 15:34
 0  10
La trace indélébile du putsch du Capitaine Amadou Haya Sanogo est sans conteste un recul de la démocratie malienne. Les admirateurs de la junte qui a pris le pouvoir salueront « un recul pour mieux sauter ». Les pourfendeurs de ce pronunciamiento y verront une annihilation de vingt ans de construction d’un processus en consolidation. Au-delà de ces aspects, l’ordre constitutionnel auquel le pays est retourné, sous une pression intense, est factice, avec une classe politique qui se cherche. D’abord, il faut avoir l’honnêteté intellectuelle de reconnaître que le coup de force opéré par le Capitaine Sanogo et ses éléments suscite bien des interrogations. Quelles sont les raisons profondes qui ont poussé ces jeunes sous-officiers et hommes de rang à prendre les armes pour renverser le pouvoir du président Amadou Toumani Touré ? Un régime pourtant apparemment bien assis et qui était au crépuscule de son règne. Officiellement, le chef de la junte évoque la mauvaise gestion et le laxisme de la hiérarchie militaire pour faire face à la crise au Nord, la corruption, la crise de l’école, la mauvaise préparation des prochaines élections et les autres maux dont souffre le peuple malien. Il faut reconnaître que ces problèmes ne datent pas que de la période ATT. La crise de l’école a commencé depuis les années 92 et s’est aggravée sous le président Alpha Oumar Konaré avant de s’intensifier sous ATT. Les vingt dernières années au Mali ont été meublées par des cas de corruption des élections organisées de façon approximative (telles celles de 1997), l’insécurité et d’autres défis. Or, sous le président Alpha, certains acteurs politiques se sont assumés en dénonçant ces maux. Certains allant jusqu’à prendre leur distance vis-à-vis du pouvoir en place. D’où une opposition qui n’a point facilité la tâche au président Alpha. Des débats houleux étaient animés pour donner l’occasion à des voix autorisées tant au sein de la classe politique que dans la société civile de s’exprimer. Ce climat n’a-t-il pas été un facteur déterminant pour le président Alpha de, pour ainsi dire, sauver sa tête et sa peau ? En outre, par rapport à la débâcle de l’armée dans la guerre au Nord, on se souviendra que sous Alpha, l’inventaire de l’équipement militaire avait permis de constater que la grande muette n’était pas au point pour assumer toutes ses responsabilités au plan sécuritaire et dans la défense de l’intégrité du territoire national. La conséquence en est que tous ces problèmes se sont amoncelés sous la gouvernance d’ATT. Celui-ci, à son arrivée aux affaires en 2002, croyant certainement par naïveté bien faire, a opté pour un quasi-unanimisme. Le concept de la gestion consensuelle du pouvoir venait de faire son apparition. Tous les courants politiques se sont alliés au pouvoir et, de ce fait, ont été muselés. Les deux quinquennats d’ATT seront menés dans la léthargie du consensus politique. Si ce n’est une opposition terne et sans envergure animée furtivement par le RPM, le PARENA et plus sérieusement par la SADI. Il en est ressorti - du moins, on s’en rend compte aujourd’hui - que certains ressentiments ont été refoulés. Il en résulte que des responsables politiques courtisans assidus du prince ont tourné aujourd’hui casaque. «Nous soutenons l’esprit qui est derrière ce coup d’Etat portant sur la lutte contre la corruption, la restauration de l’Etat, le redressement de la démocratie », déclarait récemment Housseinou Amion Guindo de la CODEM. Pour le président du PCR, Ousmane Ben Fana Traoré (un chargé de mission à la présidence de la République), le changement prôné par les putschistes est à saluer même si un coup d’Etat est toujours condamnable. D’autres leaders comme Me Mountaga Tall, Moussa Mara, tous membres du regroupement Convergence pour sauver le Mali (CSM) tiennent à peu près le même discours. Comme pour dire que le coup d’Etat qui a chassé ATT du pouvoir était un mal nécessaire. Ainsi, le putsch du 22 mars a révélé que les partis politiques alimentaires ne soutenaient les actions du président Touré que du bout des lèvres. Ils étaient nombreux à lui tourner le dos dès le premier pépin. La preuve, même au sein du Front anti-putsch, aucun leader n’a exigé le rétablissement du président déchu dans ses fonctions. Au contraire, ils se sont tous échinés à réclamer un retour à « l’ordre constitutionnel normal ». La plupart de ces politiques ont simplement hâte que la junte se retire, que le Nord soit vite pacifié pour dégager l’horizon des élections. L’autre leçon à tirer du changement de cap intervenu le 22 mars porte sur la versatilité des hommes politiques. Il en va ainsi des hésitations et des contradictions au sein du PARENA, du CNID et de la CODEM. Si Tiébilé Dramé du parti du bélier était au départ satisfait du coup de force lorsqu’il disait que que si le Capitaine Sanogo n’avait pas renversé le régime ATT, d’autres militaires l’auraient fait, Me Mountaga Cheick Tall du CNID et Housseinou Amion Guindo dit Poulo de la CODEM ont eu du mal à convaincre leurs principaux lieutenants de leur centrisme par rapport au putsch. Les groupes parlementaires de ces deux partis pourraient se lézarder du fait de la gestion de cette crise. Les députés Hady Niangado, Yaya Haïdara, Oumar Moussa Diawara dit Bathy du CNID se sont affichés à la Bourse du Travail au sein du Front anti-putsch, se désolidarisant ainsi d’un leader mi-figue mi-raisin. Du côté de la CODEM, certains députés et cadres comme le ministre David Sagara, son chef de cabinet Issa Fahiri Koné, Amadou Ombomtimbé ne soufflent pas dans la même trompette que Poulo et ses amis. Idem pour le PCR. Toute chose qui montre que l’opportunisme politique a encore de beaux jours devant lui au bord du Djoliba. Bruno D. SEGBEDJI

Quelle est votre réaction ?

like

dislike

love

funny

angry

sad

wow