L’Eco doit entrer en circulation en 2020, le débat autour de cette nouvelle monnaie de la Cédéao se poursuit. Si des monétaristes ont salué l’arrivée de la nouvelle monnaie, ils sont de plus en plus nombreux, ces spécialistes qui voient en l’Eco, une dévaluation déguisée du FCFA. Pour l’économiste Dr Lamine Keita, auteur de plusieurs ouvrages dont «LA THÉORIE ÉCONOMIQUE DU XXIE SIÈCLE: Le concept de mesure en économie», l’Eco est une veille arnaque en France.
Maliweb.net - «Quand on ne connait pas l’histoire on est condamné à la revivre», écrit Dr Lamine Keita. L’Eco, explique le spécialiste, n’est rien d’autre que l’Ecu, jadis, une deuxième monnaie utilisée par le Roi de France pour mieux arnaquer ses sujets. Ainsi, de 1360 à 1795, le régime monétaire établi dans le Royaume de France était bâti sur deux monnaies: la Livre Tournois et l’écu. La Livre tournois était une monnaie fictive, définie en quantité d’or, alors que la seconde monnaie, appelée l’écu, était une monnaie matérielle circulante, définie en quantité de Livre tournois. Par exemple: 1 écu = 2 Livres tournois, tandis que 1 Livre tournois = 5g Or.
Grâce à ce système de double monnaie, le Roi pouvait décider que désormais 1 écu ne vaut plus 2 Livres Tournois, mais plutôt 1 Livre Tournois (1 écu = 1 Livre tournois). Ce faisant, il retirait les pièces d’écu de la circulation et les refrappait en conformité avec sa nouvelle définition. Dans le scénario où il existe une quantité de 1 000 000 écus en circulation, le Roi encaissait une différence de 5 grammes d’or sur chaque écu en circulation et gagnait ainsi 5 000 000 grammes d’or. En d’autres termes, 1 million d’écus en circulation équivaut à 10 millions grammes d’or. En décidant de définir à la baisse l’écu, le Roi reprenait de ses sujets un montant de 10 millions de g d’or et leur donnait en retour 5 millions de g d’or empochant 5 millions de grammes d’or. Avec la Révolution française, l’écu, la seconde monnaie du Roi a été interdite par le Décret du 18 Germinal An III (7 avril 1795) en France et le franc a été substitué à la Livre Tournois, rendant donc impossible la manipulation frauduleuse de l’écu.
Le cas du Franc Malien
La pratique interdite en France va renaître Afrique, en 1945, avec la création du Franc des Colonies françaises d’Afrique (FCFA) selon e même schéma de la seconde monnaie d Roi. La France affaiblie par les deux guerres mondiales va transporter dans les colonies la pratique d’expropriation utilisée par ses Rois pour renflouer ses caisses.
Elle va aider le Mali à intégrer les pays utilisateurs du FCFA de 1983 à 1984. Le Mali met en circulation le Franc Malien (FM) qui équivaut à 0,01 Franc Français (FF) et le FCFA qui équivaut à 0.02 FF. Ainsi, le compte bancaire de 1 000 000 FM d’un Malien a été remplacé par un compte de 500 000 FCFA, soit 10 000 FF. De même un salaire de 400 000 FM en 1983 a été enregistré pour 200 000 FCFA en 1984.
Cependant, en 1994, soit dix ans après l’adoption du FCFA par le Mali, la décision a été prise, au nom de la dévaluation, de ramener le FCFA à 0,01 FF au lieu de 0,02 FF. Cependant, la dévaluation concerne deux pays alors que dans le cas présent, le FCFA et sa moitié le FM sont des instruments monétaires utilisés par le même pays pour mesurer la valeur. En ramenant la valeur du FCFA à 0,01 FF au lieu de 0,02 FF, la France a appliqué, comme le Roi, la diminution de l’écu pour empocher la différence entre les deux définitions du FCFA.
Ainsi, en 10 ans, le compte de 1 000 000 de la monnaie de 0,01FF, (le FM) devient 500 000 de la même monnaie de 0,01 FF, sans aucune justification, s’indigne l’auteur Dr Lamine KEITA, en dehors de la volonté du Roi, ce dernier étant remplacé par le Trésor français. Tout compte le Roi n’avait aucunement affaire avec l’étranger, ces pays africains ne sont qu’avec leurs instruments monétaires qui sont en fait leurs instruments de mesure de la valeur. Ce qui est appelé à tort dévaluation du FCFA est tout simplement une diminution des poids et mesures en économie, une mesure suicidaire. En effet,
«en décidant d’appeler FCFA ce qui n’est que sa propre moitié, on détruit par ignorance, tous montants cumulés au cours du temps au titre des investissements. Les recettes attendues seront indéfiniment confondues avec leur propre moitié», expose l’économiste.
De l’écu à l’éco…. un petit pas
«L’éco est identique à l’écu, par ricochet au FCFA», indique Dr Keita. Partant de l’hypothèse de 1 euro = 1 200 Eco, cette nouvelle monnaie consacre, selon lui, la dévaluation impossible, mais de fait du FCFA.
«Un second hold-up contre les populations qui ont refusé la dévaluation du FCFA après celle de 1994», écrit le chercheur. Cette position du Dr Lamine Keita est de plus partagée par des activistes, même par des monétaristes. Surtout depuis l’annonce de l’arrimage de l’Eco à l’Euro
. Pour Alassane Dramane Ouattara, c’est la meilleure chose à faire, car, «le taux de change fixe entre le franc CFA et l’euro a fait ses preuves», depuis des années.
Cette déclaration du président ivoirien ne rassure guère.
«L’arrimage du franc CFA à l'euro pose un problème de compétitivité : à chaque fois que l'euro s'apprécie, le franc CFA aussi», s’inquiète l’économiste kako nubupko, Directeur de la francophonie économique et numérique. En tout cas, la question de la monnaie doit désormais intéresser tout le monde comme le souhaitait l’astronome polonais Nicolas Copernic. Le savant ne cachait pas le mal que pouvait causer la dépréciation monétaire.
«La discorde, la mortalité, la stérilité de la terre et la détérioration de la monnaie», sont, selon N. Copernic, les plus redoutables fléaux qui d'ordinaire amènent la décadence des républiques. L’auteur du
Traité de la monnaie, ajoute:
«Pour les trois premiers, l'évidence fait que personne n'en ignore. Mais, pour le quatrième, qui concerne la monnaie, excepté quelques hommes d'un très-grand sens, peu de gens s'en occupent. Pourquoi? Parce que ce n'est pas d'un seul coup, mais petit à petit, par une action en quelque sorte latente, qu'il ruine l'Etat».
Mamadou TOGOLA / Maliweb.net