En Guinée, l’incertitude règne après le renversement d’Alpha Condé
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« Les gens ont peur, ils se demandent quelle sera la suite et préfèrent rester en sécurité chez eux plutôt que de se frotter aux militaires »
Le vieux président, âgé de 83 ans, est apparu sur une vidéo diffusée par les putschistes, la mine défaite, vêtu d’un jean et d’une chemise froissée, assis dans un canapé. Sous la surveillance des militaires, il affichait ce regard noir et buté familier chez cet ancien opposant devenu en 2010 le premier président démocratiquement élu depuis l’indépendance (en 1958) de cette ancienne colonie française.
Des images le montrent ensuite circulant pour une destination inconnue – certains évoquent la caserne des forces spéciales située près du Palais du peuple à Conakry − visiblement prisonnier à l’arrière d’un véhicule blindé suivi par quelques poignées de Guinéens en liesse. Sauf quelques explosions de joie dans les quartiers rétifs de cette capitale plutôt favorable à l’opposition, le calme régnait dans la ville. « Les gens ont peur, ils se demandent quelle sera la suite et préfèrent rester en sécurité chez eux plutôt que de se frotter aux militaires », témoigne une habitante jointe au téléphone.
La promesse d’une nouvelle constitution
Dans son allocution télévisée, en partie improvisée, le lieutenant-colonel a expliqué que « la politisation à outrance de l’administration publique, la gabegie financière, la pauvreté et la corruption endémique ont amené l’armée guinéenne, à travers le CNRD à prendre ses responsabilités vis-à-vis du peuple souverain de Guinée dans sa totalité ». Il a ainsi promis de « réécrire une constitution ensemble cette fois-ci [et de] mener une consultation inclusive pour décider de l’avenir de ce pays ». « La personnalisation de la vie politique est terminée, nous n’allons plus confier la politique à un homme (…) Il y a eu beaucoup de morts pour rien, beaucoup de blessés pour rien, beaucoup de larmes alors qu’on aime tous la Guinée », a-t-il ajouté.
Ces quelques phrases concentrent les principaux griefs adressés au président Alpha Condé depuis que celui-ci a mis en branle, en 2019, le rouleau compresseur déblayant la voie vers un troisième mandat, interdit par la loi. Ce « coup d’Etat constitutionnel », tel que dénoncé par l’opposition et la société civile rassemblée au sein du Front national de défense de la constitution (FNDC), a jeté, au fil des mois, des centaines de milliers de Guinéens mécontents dans les rues. Plusieurs dizaines d’entre eux ont été tués par les forces de sécurité, des centaines d’autres arrêtés arbitrairement, lors de la répression de cette contestation d’une ampleur jusqu’alors inédite.
« Corruption dantesque »
Ce mouvement s’est nourri des tensions politiques extrêmes. L’opposition a disparu du Parlement après avoir boycotté les législatives de 2020. Parallèlement, la présidence concentrait l’essentiel des pouvoirs entre ses mains. Il s’inscrit aussi dans un paysage « de forte agitation du front social », observe Paul Amegakpo, directeur de l’antenne guinéenne du National democratic institute (NDI) américain. Ces dernières semaines, l’augmentation du prix des carburants et l’annonce d’une nouvelle retenue sur le traitement des fonctionnaires menaçaient en effet de ranimer la flamme de la contestation alors que le pays s’enfonce dans une crise économique aggravée par la mauvaise gouvernance et « une corruption dantesque », décrit un investisseur français.
Rien ne permet de dire aujourd’hui que le nouveau pouvoir pourra redresser la situation. Quelques heures après le coup de force, la société civile et les partis d’opposition, satisfaits de voir partir un président honni, se gardaient de tout excès d’optimisme. « Je ne suis pas surpris qu’un coup d’Etat militaire succède au coup d’Etat constitutionnel », explique Abdourahmane Sano, coordinateur national du FNDC. « Nous prenons acte des déclarations du CNRD promettant une transition inclusive et apaisée mais nous attendons des précisions sur les modalités », ajoute-t-il. De leurs côtés, l’ONU et l’Union africaine ont condamné ce coup de force et appelé à la libération du président Condé.
Chacun en Guinée a encore en mémoire l’expérience douloureuse et sanguinaire d’une précédente junte dirigée brièvement (décembre 2008-décembre 2009) par le fantasque et non moins dangereux capitaine Dadis Camara. Lui aussi avait promis le meilleur, pour finalement sombrer dans le pire.
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