Gestion d’un putsch contre la démocratie : La classe politique se divise
Une mutinerie qui aurait mal tourné en débouchant sur un coup d’Etat, la suspension de la Constitution et la dissolution des institutions de la République. Il n’en fallait pas plus pour réaffirmer encore une fois le clivage des acteurs politiques divisés entre grands et petits partis.
A quelques semaines seulement de l’élection présidentielle prévue pour le 29 avril 2012 et de l’investiture d’un nouveau président de la République le 08 juin prochain, le processus démocratique enclenché depuis une vingtaine d’années au Mali a été stoppé net. Le 22 mars 2012, Amadou Toumani Touré, président de la République démocratiquement élu en 2002 et réélu en 2007, qui était sur le point de rendre le tablier, conformément à l’esprit de la Constitution qu’il avait promis de ne pas tripatouiller pour briguer un troisième mandat, ATT est donc renversé par une junte militaire de redresseurs de démocratie et de restaurateurs d’Etat.
Le fait est si grave qu’il n’a pas manqué de diviser. D’abord l’armée. Composés essentiellement de militaires (plus quelques éléments de la garde, de la gendarmerie et de la police) jeunes et dont le plus haut gradé est un capitaine, les putschistes du 22 mars ont du mal à rentrer dans les bonnes grâces de leurs ainés et de leurs supérieurs, lesquels, semble-t-il, refusent de suivre le mouvement. Les forces de défense et de sécurité se retrouvent donc divisées entre, d’une part, officiers supérieurs (commandants, lieutenants-colonels, colonels, généraux) et, d’autre part, officiers subalternes, sous-officiers et hommes de rang.
Ensuite, la classe politique. Celle-ci se retrouve écartelée entre le respect des lois constitutionnelles, donc de la légalité, et l’atteinte à la démocratie. Dès l’annonce du coup d’Etat, les partis politiques ont pris parti et se sont organisés.
Les uns, au nombre de trente et huit parmi lesquels on compte les plus grandes formations politiques du pays, réunis au sein d’un «Front uni pour la sauvegarde de la République et de la démocratie », demandent le départ de la junte militaire et le retour du président Amadou Toumani Touré, l’organisation dans les meilleurs délais des élections générales. A en croire les frontistes, ATT doit être rétabli dans ses fonctions présidentielles, démissionner au terme de son mandat constitutionnel, le 08 juin, instaurer un Comité de transition chargé de l’exécution d’un nouveau calendrier électoral.
Les autres, drainés par le parti Sadi du Dr Oumar Mariko, au nombre incertain et inconnu, constitués en MP22 (Mouvement populaire du 22 mars), apportent leur soutien aux putschistes auxquels ils proposent un accompagnement politique. Ils souhaiteraient une transition aux contours encore mal définis, à l’issue de laquelle seront organisées des élections générales. Inutile de préciser que le MP 22, qui se prévaut d’acteurs de la société civile qui auraient combattu ATT pendant ses deux mandats, espère jouer les premiers rôles au cours de cette transition.
La ligne de démarcation actuelle ne représente pas le clivage de la classe politique pendant l’administration ATT.
De 2002 à 2007, ATT a gouverné avec l’ensemble de la classe politique à travers ses différents courants et regroupements, dans ce qu’on a appelé la gestion consensuelle du pouvoir. Aux côtés du Mouvement citoyen, courant porteur d’Amadou Toumani Touré, il y avait l’Adema, l’Urd, le Rpm, le Parena, le Mpr, le Cnid, c’est-à-dire les principales formations politiques, et la Sadi. L’appartenance de tous ces partis à la mouvance présidentielle a consacré l’absence d’opposition donc de débats sérieux sur les grandes questions d’intérêt national dans l’enceinte de l’Assemblée nationale. Or, c’est justement pendant cette législature qu’ont été adoptés des textes majeurs, y compris l’Accord d’Alger, dont la gestion a abouti à la recrudescence dans le nord. D’où la responsabilité de tous ces partis dans la mutinerie du 22 mars. Ce n’est que vers la fin de ce premier mandat que le RPM et le Parena, essentiellement, ont quitté le navire consensuel pour un positionnement en vue de la présidentielle de 2007.
Une élection remportée encore par ATT avec l’appui de 44 partis politiques (sans le Rpm, la Sadi et le Parena versés dans l’opposition) avec lesquels il va réitérer le consensus. En avril dernier, le Rpm et le Parena vont rejoindre la majorité gouvernementale. Conséquence: le groupe parlementaire Parena-Sadi se disloque mais Oumar Mariko, qui ne peut plus constituer de groupe faute de nombre suffisant de députés, garde par mansuétude une vice-présidence même si son parti, le seul de l’opposition parlementaire, n’est pas représenté à la CENI.
Vers la fin du deuxième mandat d’ATT, tous les partis politiques de la mouvance présidentielle, ceux de l’ADP comme le Rpm ou le Parena, ont avoué être comptables de la gestion du président de la République. Comptables de ses réussites comme de ses échecs. Et si le bilan d’ATT est sans conteste globalement positif, il y a eu des échecs malgré l’accompagnement d’une cinquantaine de partis qui tous doivent s’assumer. La junte ne peut donc pas faire porter le béret au seul ATT sans incriminer ses partenaires du consensus.
Et ceux-ci, en toute honnêteté et loyauté, ne peuvent ni ne doivent se désolidariser du président de la République, même pour plaire à d’éventuels nouveaux maitres. Quant à la Sadi, tout le monde sait ce que sait. C’est pourquoi son choix, très insignifiant d’ailleurs, n’étonne ni ne dérange personne.
Cheick Tandina
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