La confusion à Bamako freine l'action étrangère au Mali

Sep 26, 2012 - 18:30
Sep 27, 2012 - 07:09
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[caption id="attachment_82955" align="alignleft" width="350"] Le capitaine Amadou Haya Sanogo[/caption] BAMAKO (Reuters) - Il est bien difficile à Bamako d'échapper au visage du capitaine Amadou Sanogo, dont le portrait s'affiche dans les journaux, sur des autocollants à l'intérieur des taxis ou encore sur la poitrine de ses partisans. Cette omniprésence illustre la confusion persistante au Mali sur les véritables détenteurs du pouvoir dans la capitale, cinq mois après l'effacement officiel d'Amadou Sanogo et de ses hommes au profit d'un gouvernement civil de transition après leur coup d'Etat fatal au président élu Amadou Toumani Touré. La situation est d'autant plus floue que le pays est coupé en deux depuis que des rebelles touaregs, profitant du putsch à Bamako en mars, se sont emparés du nord du Mali avant de se faire déposséder de leur victoire par leurs alliés islamistes. "Il n'y a personne à la barre", constate un diplomate en poste à Bamako. Les divisions dans la capitale empêchent les pays d'Afrique de l'Ouest et leurs alliés occidentaux, dont la France, d'intervenir militairement dans le nord du pays, dont ils craignent qu'il ne devienne un repaire d'extrémistes islamistes. Le président François Hollande a plaidé mercredi à l'Onu en faveur du déploiement rapide d'une force africaine au Mali et a jugé que les conditions étaient désormais réunies pour une résolution en ce sens au Conseil de sécurité de l'Onu. Certains, tels les Etats-Unis, jugent cependant que des élections constituent un préalable nécessaire pour mettre un terme aux divisions au sein du pouvoir civil et saper l'influence des ex-putschistes. Médiateur désigné par la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cédéao), le président du Burkina Faso, Blaise Compaoré, s'est plaint la semaine dernière de l'absence de véritable pouvoir à Bamako. "Compaoré s'est fait le porte-parole des inquiétudes de la communauté internationale", explique un autre haut diplomate en poste à Bamako. "Le système politique doit être consolidé et il faut des élections pour restaurer une légitimité. Seul un gouvernement légitime pourra reprendre le Nord." Cette opposition à toute intervention avant des élections a été jugée "malvenue" par un porte-parole d'Amadou Sanogo. Pour ses détracteurs, le président par intérim Dioncounda Traoré est faible et incapable de collaborer avec le Premier ministre, Cheick Modibo Diarra, lequel semble déterminé à s'installer durablement dans le paysage politique. CONFUSION Surtout, au-dessus de ce duo de civils plane l'ombre du capitaine Sanogo, personnalité populaire à Bamako que beaucoup soupçonnent de ne pas vouloir renoncer au pouvoir réel. Signe de la méfiance qu'inspire cette situation, la Guinée voisine a bloqué en juillet une cargaison d'armes à destination du Mali de crainte de la voir atterrir en de mauvaises mains. La confusion a été particulièrement manifeste à Bamako lors du récent débat sur le rôle de la Cédéao dans une éventuelle intervention militaire. Il a fallu des mois aux dirigeants des pays d'Afrique de l'Ouest pour convaincre les responsables maliens de solliciter officiellement une aide militaire pour reprendre le nord du Mali. Mais sitôt cette requête transmise, l'armée a vivement contesté certains aspects de ce projet, remis sur les rails en début de semaine après d'âpres négociations. "Il n'est pas acceptable que le président dise une chose et que les militaires en disent une autre", juge Tiebilé Dramé, responsable politique à Bamako. "Cela prouve que le coup d'Etat n'est toujours pas terminé et que les militaires ne sont toujours pas prêts à accepter une autorité civile." Les militaires jugent que la solution à la crise ne peut venir que des Maliens eux-mêmes et ils sont résolument hostiles au déploiement de forces étrangères à Bamako. Les opposants à une intervention extérieure rappellent aussi les précédents du Liberia et de Sierra Leone, où les forces ouest-africaines ont été accusées de violences contre les civils. Un officier malien affirme que les militaires doutent même profondément du bien-fondé d'une action étrangère. "(La Cédéao) veut renverser (le coup d'Etat) pour montrer que ce genre de situation peut être retournée et ne doit pas être essayée chez eux", dit cet officier sous le sceau de l'anonymat. Signe de l'instabilité persistante à Bamako, le ministère de la Défense et diverses casernes restent entourés d'amas de sacs de sable pour empêcher d'éventuelles attaques. Pour les partisans d'une intervention rapide, la tenue d'élections dans un pays contrôlé aux deux tiers par des rebelles pose des difficultés logistiques mais aussi politiques. "Organiser une élection sans le Nord serait une autre manière d'accepter la partition du pays", dit Assouamane Maïga, un habitant de Tombouctou, ancien carrefour commercial du Sahara désormais sous la coupe de rebelles islamistes liés à Al Qaïda. CRAINTES EN FRANCE L'enracinement d'extrémistes islamistes au Sahel suscite de fortes craintes en France, l'ancienne puissance coloniale, dont six ressortissants sont retenus en otages dans la région. Pour Paris, la crise au Mali est désormais une question plus prioritaire que la Syrie et Al Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) constitue une "menace directe et immédiate", dit un responsable français. Les combattants islamistes ont étendu leur contrôle vers le Sud début septembre en prenant sans coup férir la ville de Douentza. Les habitants du nord du Mali semblent désormais résignés à vivre sous le régime de la loi islamique (charia). "Nos vies ont changé et nos traditions avec", dit Moussa Maïga, un habitant de Gao. "Nous vivons désormais conformément à la voie tracée par les occupants (...); nous n'avons pas le choix." Des journalistes de Reuters qui se sont récemment rendus dans cette ville ont constaté la présence de combattants venant aussi bien d'Afrique de l'Ouest que du Cachemire. Un guide touristique de Tombouctou dit que plusieurs de ses confrères ont travaillé comme traducteur pour des combattants pakistanais. Si les islamistes pratiquent les amputations pour punir le vol ou détruisent des mausolées jugés contraires à leurs principes religieux, ils se sont aussi lancés dans une offensive de charme à l'égard de la population. A Gao, ils ont ainsi rétabli un semblant de sécurité après le chaos initial provoqué par l'arrivée des rebelles touaregs. A Tombouctou, l'électricité est certes irrégulière mais gratuite et le prix des aliments a baissé avec la suppression des taxes. "Depuis six mois, les groupes (armés) s'emploient à obtenir le soutien de la population. Dans le même temps, l'Etat a abandonné le peuple. L'Etat ne pourra plus retrouver son rôle dans le Nord", dit un ancien ministre originaire du Nord. par David Lewis et Adama Diarra / 27-09-2012

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