La Haute cour de justice pour protéger la fonction du ministre ou la délinquance fonctionnelle du ministre : enjeux juridiques et pratique constitutionnelle
CHAPITRE I
LA HAUTE COUR DE JUSTICE A L’EPREUVE DE L’INSTRUMENTALISATION POLITIQUE
La consécration constitutionnelle formelle de l’institution de la Haute Cour de Justice ne s’est pas traduite par sa matérialité fonctionnelle conséquente.
La Haute Cour de Justice a été prévue dans toutes les Constitutions du Mali dont celle du 22 septembre 1960 en ses articles 46 et 47 ; celle du 2 juin 1974 en ses articles 68 et 69 et celle du 25 février 1992 en ses articles 95 et 96. Dans chacune de ces trois Constitutions, les articles relatifs à la Haute Cour de Justice précisent systématiquement qu’elle est composée de députés que l’Assemblée nationale élit en son sein après chaque renouvellement et qu’une loi en fixe le nombre, les règles d’organisation et de fonctionnement ainsi que la procédure.
Or, durant toutes les péripéties des 1ère et 2ème République, la Haute Cour de Justice n’a jamais vu le jour. La République la plus récalcitrante en la matière aura été la 1ère République qui elle, n’a même pas adopté la loi censée en fixer le nombre, les règles d’organisation et de fonctionnement ainsi que la procédure.
La 2ème République, 14 ans après, s’est tout simplement contentée d’adopter la loi 88-60/AN-RM du 5 avril 1988 fixant sa composition, ses règles de fonctionnement ainsi que la procédure suivie devant elle.
Quant à la 3ème République, de son démarrage en 1992 à janvier 1997, il aura fallu cinq (05) ans pour que soit promulguée et publiée la loi n°97-001 du 13 janvier 1997 fixant la composition et les règles de fonctionnement de la Haute cour de justice ainsi que la procédure suivie devant elle. Nous précisons qu’il s’agit bien d’une loi ordinaire et non d’une loi organique comme on l’entend souvent. Sauf à s’évader de la théorie constitutionnelle, les lois organiques sont toujours expressément catégorisées comme telles par la Constitution elle-même. Il suffit à cet égard de se référer à son article 70 qui les qualifient de « lois auxquelles la présente Constitution confère le caractère de loi organique ».
De la publication de cette loi ordinaire en 1997 à l’année 2014 qui a vu le bout de nez de cette Cour, il aura fallu dix-sept (17) ans ! Autrement dit au total, cela a pris vingt-deux (22) ans, de 1992 à 2014, soit environ trois (03) législatures successives, pour voir la Haute Cour de Justice se mettre concrètement en place. Vingt-deux (22) années pour donner vie à une institution de la République prévue par la Constitution ! Une belle leçon de démocratie par « carence institutionnelle », d’autant plus facile que la Constitution ne fixe pas de délai au terme duquel l’Assemblée nationale devra pourvoir aux postes réservés à ses représentants au sein de la Haute Cour de Justice, ni de date butoir de son installation lors de chaque renouvellement.
Dans ces conditions, à quelle garantie juridique faut-il s’attendre en termes de responsabilité pénale des ministres justiciables d’une juridiction dont l’installation et la fonctionnalité laissées à la discrétion du pouvoir politique, ne sont enfermées dans aucune contrainte temporelle de nature juridique ?
La pratique institutionnelle relative à la Haute Cour de Justice a de tout temps revêtu les traits d’une sorte de détournement de pouvoir constitutionnel, la tendance générale observée ayant été que les autorités politiques ont volontairement utilisé et abusé de l’institution de la Haute Cour de Justice dans un but autre que celui pour lequel le constituant l’avait créée.
Au mépris de l’esprit de la Constitution, l’installation de la Haute Cour de Justice s’est tranquillement installée davantage dans une zone de pouvoir discrétionnaire que de compétence liée.
En la matière, les régimes successifs n’ont finalement fait qu’instrumentaliser la Haute Cour de justice dans le sens de leurs intérêts politiques. L’installation improvisée de la Haute Cour de Justice en 2014 sous IBK, procède exactement de cette logique d’instrumentalisation en porte-à-faux avec l’esprit attaché aux articles 95 et 96 de la Constitution.
Ce n’était que pour régler ses comptes personnels avec ATT que le 27 décembre 2013, un communiqué du gouvernement de IBK annonçait : « L’Assemblée nationale, siège de la Haute Cour de Justice, vient d’être saisie par la lettre n°285/PG-CS du 18 décembre 2013, d’une dénonciation des faits susceptibles d’être retenus contre Amadou Toumani Touré, ancien Président de la République pour haute trahison ».
Le 27 mars 2014, soit trois mois après, la Haute Cour de Justice est mise en place par l’Assemblée nationale.
Sur le site de la Haute Cour de Justice, on peut lire sous la plume de son ex-Président Abdramane NIANG : « Il a fallu une forte volonté politique impulsée par Son Excellence Monsieur Ibrahim Boubacar KEITA, Président de la République pour mettre en place la Haute Cour de Justice et faire de cette nécessité une réalité ».
L’ex-Président a omis de préciser que l’énergie de cette volonté politique était d’essence revancharde et témoignait justement, si besoin en était, de l’instrumentalisation politicienne d’une Haute Cour de Justice mise en place non pas au service de l’intérêt général de la République, mais à la solde d’un dessein de règlement de compte politique portée par IBK contre feu le Général ATT.
Dr Brahima FOMBA, Université des Sciences Juridiques et Politiques de Bamako (USJPB)
Quelle est votre réaction ?