Dans la nuit du 16 avril, au moment où le CNRDRE procédait à des arrestations massives dans les milieux politiques et militaires, le président déchu, Amadou Toumani Touré ,est averti par des proches qu'une petite troupe dépêchée par la junte se dirigeait vers la résidence où il demeurait depuis sa démission officielle de ses fonctions de président de la République.

Mission de la troupe: se saisir de la personne d'ATT et le conduire à Kati. Après quelques hésitations, ATT s'enfuit de la résidence et se réfugie à l'ambassade du Sénégal au Mali, accompagné de quelques bérets rouges de sa garde rapprochée et de sa famille. C'est là que les tractations commencent entre la junte et la CEDEAO. En fin de compte, le capitaine Amadou Sanogo donne son accord à l'exil d'ATT au Sénégal. A l'heure prévue pour le départ à Dakar, ATT prend place dans un convoi de voitures avec sa famille au grand complet. Il y a là son épouse Lobbo Traoré; ses enfants Fanta et Mabo; ses deux gendres (qui avaient reçu des menaces); des éléments de sa garde; bref, une bonne vingtaine de personnes. Tout ce petit monde arrive à l'aéroport de Bamako-Sénou où l'attend l'avion présidentiel sénégalais dépêché à Bamako par Macky Sall. Visiblement, les soldats maliens qui, depuis le coup d'Etat du 22 mars, l'aéroport ont reçu des consignes de leur hiérarchie: ils laissent ATT et compagnie accéder, non au salon d'honneur (c'eût été de trop pour eux!), mais dans la salle ordinaire des embarquements. Les formalités d'embarquement effectuées, ATT et compagnie se dirigent vers la sortie de l'aéroport conduisant au tarmac. Les choses se gâtent soudain. Un groupe de militaires qui campe là s'oppose à l'embarquement de l'ex-président.
Refusant, d'ailleurs, de faire le salut militaire à ATT (qui reste officier général malgré la perte de Koulouba), les militaires récalcitrants ont la désagréable surprise de voir le capitaine Salif Kéita, commandant des compagnies de transport aérien de la gendarmerie de l'aéroport, se figer au garde-à-vous devant ATT. Le voyant saluer un homme qu'ils ne portent guère dans leur coeur, les militaires menacent le capitaine, malgré son grade plus élevé, de lui régler son compte quand ils auront fini avec ATT. Ils décrètent que ni ATT ni sa famille n'embarqueront pour Dakar. Avaient-ils été tenus dans la confidence de ce départ par leurs chefs ou bien faisaient-ils montre d'indiscipline caractérisée ? En tout cas, face à leur refus catégorique de laisser partir l'ex-président et les siens, des négociations ardues s'engagent. Les militaires ne cèdent pas. Quelques minutes après, le capitaine Sanogo, chef de la junte, est averti de l'incident. Il envoie un émissaire à l'aéroport. L'émissaire demande aux militaires de laisser ATT et sa famille embarquer. Les militaires acceptent, mais pas tous. Certains, très remontés contre l'ex-président, se mettent tirer en l'air. En entendant dans son dos ces tirs bruyants, l'ex- président, qui se dirigeait vers l'avion sénégalais, croit ses jours finis: il s'écroule à terre, tremblant de tout son corps. Il est immédiatement remis débout et tenu à bout de bras par ses gardes de corps. Malgré tout, un militaire, qui avait été désarmé mais qui refusait de laisser partir ATT et famille, se munit d'un couteau et suit ce dernier en proférant à son endroit des injures grossières. Le militaire monte jusque dans l'avion sénégalais en continuant ses injures. Les gardes de corps de l'ex- président font profil bas pour ne pas voir s'abattre sur eux la foudre des autres militaires qui continuaient à tirer en l'air. Selon un employé de l'aéroport que nous avons contacté, le pilote de l'avion sénégalais s'interposa entre le militaire armé de couteau et l'ex-président et supplie le militaire qui finit par se calmer. Selon toujours notre témoin, la stratégie du militaire était de faire réagir les gardes de corps d'ATT afin d'aller au bout de sa logique: poignarder ATT. Le silence de ses gardes de corps a donc sauvé ATT d'une mort certaine.
"Pendant plus de 5 minutes, le militaire a injurié l'ex- président; les gardes de corps n'ont pas réagi et le militaire a finalement accepté les supplications du pilote qui n'était pas malien", a ajouté notre témoin.
Après le décollage de l'avion sénégalais, les militaires quittent le tarmac et se mettent à la recherche du capitaine Kalifa Kéita (l'officier qui avait salué ATT), afin de lui apprendre à vivre. Ayant senti la menace, le capitaine Kéita disparaît comme par enchantement. L'aéroport est fouillé de fond à comble par les militaires furieux. Le capitaine reste introuvable (lui au moins a bien appris l'art de se camoufler par temps orageux !). Les militaires décident d'aller le chercher chez chacune de ses trois épouses. A ces différents endroits non plus, ils ne le retrouvent pas.
En fait, du jour de l'incident à aujourd'hui, le capitaine Kéita ne s'est plus jamais présenté à son lieu de travail, craignant que les militaires ne lui fassent passer un sale quart d'heure. Le capitaine Kéita avait été nommé à ce poste par l'ex-président ATT. Et depuis le coup d'état du 22 mars, il n'était pas apprécié par les militaires déployés à l'aéroport, lesquels le savaient proche d'ATT. L'officier attendait, d'un jour à l'autre, son limogeage par le capitaine Sanogo. Il semble bien qu'il vienne de se limoger lui-même.
Abdoulaye Guindo