Le président de l'Union des Associations des artistes, des producteurs et des éditeurs du Mali, le rossignol de la musique malienne, Salif Kéïta, a apprécié le coup d'Etat qui a renversé le régime d'ATT, le 22 mars dernier. Il a félicité le Pr Dioncouda Traoré et le Dr Cheick Modibo Diarra, respectivement président de la République par intérim et Premier ministre de la transition. Pour Salif Kéïta, le plus important aujourd'hui, c'est la libération des régions Nord du pays (Kidal, Gao et Tombouctou). Selon lui, pour le nouveau gouvernement, il faut des hommes intègres et compétents pour sortir le Mali de cette situation.
[caption id="attachment_61594" align="alignleft" width="310" caption="Salif Keita"]
![](http://www.maliweb.net/wp-content/news/images/2012/04/Salif-Keita.jpg)
[/caption]
L'Indépendant : Bonjour Salif Kéïta, comment vous portez-vous aujourd'hui ?
Salif Kéïta : Je pense que tout va bien. Je ne suis pas fatigué, mais il fait très chaud actuellement comme tous les Maliens peuvent le constater, sinon ça va.
Vous avez mis en place l''Union des Associations des artistes, des producteurs et des éditeurs du Mali qui regroupe tous les acteurs culturels. Pourquoi cette initiative ?
Je crois que les artistes sont très abandonnés ici au Mali. Le gouvernement malien n'accorde pas assez d'importance à l'art. Je ne vois pas un secteur qui apporte au Mali plus que l'art notamment la renommée et le prestige. Qui confèrent à tout pays une visibilité. Je ne vois pas un secteur qui rapporte plus que celui des artistes et des écrivains. C'est pourquoi, nous avons créé cette association.
Notre association, c'est un peu plus que la FEDAMA. Parce que ce n'est pas seulement les musiciens, il y a aussi des écrivains et d'autres groupes d'acteurs qui ne sont pas forcement des artistes. Il s'agit de tout ce qui concerne la culture.
Vous attendez-vous à une collaboration entre votre structure et la FEDAMA ?
Si la FEDAMA veut rejoindre la structure, oui ! Mais on est ensemble. Il n'y a pas de problèmes. Mais je ne peux pas parler à la place de l'ensemble des membres du bureau. Si c'est une structure sérieuse, il n'y a pas de problème, on peut créer un partenariat.
Quelle appréciation faites-vous de la musique malienne aujourd'hui?
La musique malienne évolue dans un sens positif. Parce qu'il y a beaucoup de nouveaux artistes qui font de leur mieux. Au niveau du rap, vraiment ça avance beaucoup.
Les rappeurs maliens évoluent beaucoup rapidement. Ils font du bon travail. Ils travaillent, ils écrivent et j'apprécie beaucoup ce qu'ils font. Surtout les thèmes qu'ils développent. Même au niveau des griots, ça avance également. Il y a beaucoup de façon de faire. C'est d'ailleurs, ce qui change les choses et qui est vraiment réconfortant. C'est le traitement des artistes qui n'a pas changé.
Au niveau de votre association, qu'est- ce que vous comptez faire pour les artistes ?
On veut donner une vie et un avenir meilleur aux artistes du Mali. Je trouve que c'est notre devoir aujourd'hui de préparer la vie des artistes. Parce que, on a compris tous les problèmes et on cherche des solutions. Pour résoudre un problème, il faut le connaitre d'abord. Maintenant que nous connaissons le fond des problèmes, nous allons essayer de les résoudre le mieux possible. Parce que les artistes ailleurs, en dehors du Mali, ont un niveau de vie assuré. Et c'est là qu'on veut en venir.
Quels sont concrètement les problèmes des artistes ?
Au niveau des artistes, le problème est qu'ils ne se réunissent pas. Et même s'ils se réunissent, souvent ça laisse beaucoup à désirer. Ils ne sont pas bien unis au sein de leur organisation. Je suis parti écouter une fois la FEDAMA en réunion, je n'ai pas aimé sa démarche et je n'y ai pas trouvé du sérieux. Et quand tu n'as pas de sérieux dans ce que tu fais, les gens ne te prennent pas aussi au sérieux. Et le résultat ne suit pas.
Quant à l'Etat malien, il n'arrive pas à faire la différence entre les artistes, la culture traditionnelle, le traitement traditionnel des artistes et l'évolution de la vie des artistes. Il faut faire une différence. On confond tout ce beau monde à des griots obligés d'être constamment accrochés à son diatigui pour survivre. Toujours là à taper à la porte du prince du jour soit pour demander à amener son enfant à l'école ou chercher ses frais de condiments. Mais ce qu'un artiste gagne normalement, un ministre ne peut le gagner.
Pourquoi c'est l'artiste qui va demander de l'argent au ministre. Il nous faut à présent dépasser ces pesanteurs socioculturelles. Il nous faut une reconversion des mentalités. Parce que c'est le contraire qui doit se faire. Quand on va au Burkina par exemple, ce que la télévision et les radios burkinabé payent aux différents artistes par an est largement considérable. A Abidjan, c'est encore beaucoup plus intéressant qu'au Burkina, au Sénégal, c'est encore deux fois plus. Mais au Mali, pour tous les artistes confondus, c'est 200 millions de FCFA par an. Et cette somme est mal gérée.
Et ce fonds ?
Eh bien, ce fonds est utilisé pour d'autres activités. Il faut que les artistes maliens puissent vivre de leur art. Je crois qu'avec l'avènement des ordinateurs, des téléphones portables, des cybers cafés, la musique est pratiquement morte. Les cassettes ne s'achètent plus, les CD ne marchent plus. Le gouvernement malien n'a jamais fait du sérieux pour combattre la piraterie. Ils n'ont jamais parlé de ça. Pire, c'est un manque à gagner pour l'Etat malien. Il faut que cela cesse.
Que dire de la situation politique actuelle ? Depuis le 22 mars dernier, il y a eu un renversement du pouvoir. Quelles sont vos impressions?
Je crois que le Mali est un pays béni. Dieu merci, nous sommes sortis d' une situation très compliquée. Sous le régime d'ATT, 80% des personnalités maliennes n'aimaient pas le Mali. Personne n'aimait ce pays. Ce qui intéresse les gens c'est d'abord leur poche. Je me demandais souvent comment va être l'avenir du Mali. Je commençais à avoir honte d'être malien. J'étais soulagé quand les militaires ont renversé le pouvoir.
C'est dire que vous êtes pour le coup d'Etat ?
Effectivement, j'ai apprécié le coup d'Etat. Je pense que c'était la seule solution. Sans le renversement de situation, les élections allaient se passer dans le cafouillage total. Tout était ficelé pour que Modibo Sidibé soit au pouvoir. C'était fini pour le Mali.
Qu'est-ce que vous reprochez au régime d'ATT ?
ATT n'est qu'un individu. Je pense qu'il ne peut pas tout faire. Et tout ce qu'il a fait n'est pas aussi mauvais. Il a fait des réalisations remarquables notamment les nombreuses infrastructures comme les routes, les ponts, les hôpitaux. Il a permis aux Maliens de se fréquenter facilement. Malheureusement, ATT a échoué dans la lutte contre la corruption. Il avait toujours clamé haut et fort qu'il ne prendrait pas les voleurs. Il savait très bien que certaines personnalités étaient en train de ruiner le pays. Malheureusement, lui-même a encouragé cette pratique. Je pense qu'il fallait arrêter tous ces gens et les mettre en prison. C'est comme ça qu'on peut bien gérer un pays. Mais, quand un Chef de l'Etat laisse les gens voler le pays, c'est dommage. Il ne voulait pas humilier les gens.
J'ai beaucoup supporté ATT. Pendant son élection, j'étais là pour le soutenir, mais je n'ai pas compris sa position par rapport à la situation du Nord. Je ne savais pas que mon ami (ATT) n'allait pas trouver de solutions à ce problème. Le Niger, l'Algérie, la Mauritanie et même le Burkina ont su gérer les problèmes relatifs à la rébellion. Mais, ATT a laissé les bandits armés rentrer au Mali impunément.
Quelle appréciation faites-vous de la nomination de Cheick Modibo Diarra comme Premier ministre ?
Je suis très content de la nomination du Dr Cheick Modibo Diarra comme Premier ministre de la transition. Je pense que c'est un bon choix que tous les maliens apprécieront. Cet homme est intègre et préfère ce qui est mieux pour son pays. On ne peut pas trouvé mieux que lui. Je pense qu'il faut laisser travailler le Premier ministre. Les nouveaux membres de son gouvernement doivent être des gens intègres. C'est pourquoi, je suis content que le Capitaine Sanogo soit à côté pour voir clair.
Mon souhait est qu'il arrive à régler les problèmes du nord le plus rapidement possible. Tous les Maliens veulent la libération du nord. Nous prions pour lui afin qu'il puisse trouver des solutions à ces problèmes.
Le nouveau premier ministre doit tout faire aussi pour mieux organiser des élections libres et transparentes. En un mot, selon les règles démocratiques.
Par rapport aux arrestations des personnalités politiques et sécuritaires, quel est votre point de vue ?
Je sais que le CNRDRE ne peut pas interpeller ces gens sans raison valable. Je soutiens les militaires dans leur action d'interpeller les coupables que je considère même comme les ennemis du Mali. Vraiment, j'apprécie. Et je les supporte à 100%.
Est-ce que Salif est toujours prêt à militer dans un parti politique ?
Oui, je suis prêt à militer dans un parti politique, mais je ne collabore pas avec des voleurs. J'ai essayé une fois d'être député, mais j'ai compris qu'il y a tellement de vol et de bassesse dans le comportement des politiciens maliens, que je me suis écarté. C'est pourquoi, j'ai décidé de ne plus collaborer avec des gens qui n'aiment pas le Mali. Mais, s'il y a des hommes intègres, je m'approcherai d'eux.
Si on vous demandait de militer dans un parti politique, lequel choisirez-vous ?
Pour les élections prochaines, je veux supporter mon frère, Ibrahim Boubacar Kéïta. Il a toujours été mon homme préféré. Je veux défendre cet homme pour qu'il soit le Président du Mali. Je serai un admirateur qui sera avec lui et qui va l'aider à aller à Koulouba.
L'artiste Youssou N'Dour est aujourd'hui ministre de la Culture et du Tourisme au Sénégal
Je suis très content de la nomination de Youssou N'Dour comme ministre de la Culture et du Tourisme. Il a donné sa vie pour le Sénégal et son pays lui en a été reconnaissant. Je pense que c'est un très bon exemple. Je profite de cette occasion pour adresser mes sincères remerciements à Youssou N'Dour et au Sénégal.
Si on vous demande d'être le ministre de la Culture de la transition?
Non, je n'accepterai pas parce que je ne peux pas. J'ai signé beaucoup de contrats que je dois respecter. Et j'adore la scène. C'est tout.
Alou Badra HAIDARA