Élections générales de 2012 : Les leaders musulmans veulent désormais avoir leur mot à dire
Les leaders musulmans n'ont jamais été aussi présents que ces derniers temps, sur la scène politique malienne. Chérif Ousmane Madani Haïdara et Mahmoud Dicko n'ont jamais fait mystère de la volonté des courants musulmans de s'impliquer dans les élections générales de 2012. Ils disent y être en tant que citoyens et comptent très fortement peser de tout leur poids. Les sorties de l'un et de l'autre font redouter l'émergence d'un islamisme rampant dans certains milieux. Par contre, pour Mountaga Tall, il n'y a pas péril en la demeure : " les gens se construisent eux-mêmes des épouvantails ; après ils ont peur de ce qu'ils ont créé. Il faut mettre la citoyenneté au cœur de l'action publique et considérer que tous les citoyens ont le devoir de participer à l'action publique ".
Dans le courant de l'année 2012 auront lieu au Mali des élections libres et transparentes. Ces joutes électorales, de l'avis des observateurs de la scène politique malienne, paraissent des plus ouvertes. D'autant que le président sortant ne sera pas candidat à sa propre succession. Mieux, les éventuels candidats iront devant les électeurs avec la même égalité de chance. Mais là où la différence se fera, c'est plutôt au niveau des groupes cibles à l'image des milieux religieux dont les leaders sont considérés comme d'excellents draineurs de foule, une véritable machine électorale dont le poids est loin d'être négligeable au moment du décompte final. Nos interlocuteurs s'emploient à citer le cas du Sénégal où les mourides ont toujours entretenu un deal avec la classe politique. Leurs consignes de vote ont toujours été décisives dans le choix du président de la République.
Au Mali, même s'il est vrai que les leaders religieux n'ont pas été trop présents aux côtés de la classe politique, il n'en demeure pas moins que depuis l'épisode du Code des personnes et de la famille, ils ne comptent plus faire de la figuration. Ils comptent avoir leur mot à dire sur pour toute question d'importance capitale engageant la vie de la nation. Dans une interview accordée à Bamako Hebdo, courant septembre 2011, le prêcheur Chérif Ousmane Madani Haidara indiquait à qui voulait l'entendre : " Nous allons nous impliquer dans les élections de 2012, parce qu'il s'agit de l'avenir du pays. Nous ne serons plus des spectateurs ou des faire- valoir. Nous allons rencontrer les candidats et voir celui qui est à même de nous présenter un programme qui prendra en compte nos aspirations ". Quelques jours plus tard, c'est au tour du jeune prêcheur Bandiougou Doumbia de mettre l'administration en garde contre toute tentative de tripatouillage électoral.
Depuis, beaucoup d'eau a coulé sous le pont. Entre temps, c'est le parti de l'Union pour la République et la Démocratie (URD) qui envoie un carton d'invitation à Mahmoud Dicko, Chérif Ousmane Madani Haidara et Bandiougou Doumbia pour assister à la cérémonie d'investiture de Soumaila Cissé. Ils ont répondu présents et ont même fait des bénédictions aux militants du parti de la poignée de main et à toute la classe politique malienne. Une semaine après, c'est le Secrétaire général du Haut conseil islamique, Mamadou Diamoutani, qui se fait élire à la tête de la CENI.
Cette présence de plus en plus remarquée sur la scène politique des responsables religieux alimente les débats dans certains milieux et fait craindre le risque d'un islam intégriste.
Nous avons mené l'enquête pour comprendre les rapports qui existent entre l'islam et la politique et les profondes motivations de nos leaders et responsables musulmans pour les échéances électorales de 2012. Nos interlocuteurs ont pour nom : le président du Haut conseil islamique Mahmoud Dicko, le guide spirituel de l'Ançardine, Chérif Ousmane Madani Haidara, le prêcheur Bandiougou Doumbia, le président de l'Association malienne pour le salut et la paix de l'islam, Mamadou Diallo. Côté politique, nous avons fait réagir le président du CNID, Mountaga Tall et quelques militants de la classe politique.
«Ce n'est pas un crime pour un musulman, de surcroit responsable religieux, de faire de la politique»
Mahmoud Dicko a esquivé la question relative à la présence des musulmans sur la scène politique et estime qu'il n'y a pas eu dans l'histoire du Mali de rapports très approfondis entre les milieux religieux, surtout musulmans, et la classe politique. A le croire, " ce ne sont pas les leaders religieux qui font de la politique, mais ce sont plutôt les hommes politiques qui nous courent après. C'est tout à fait normal. Quand les choses ne vont pas entre eux, ils nous font appel pour la médiation". Il en veut pour preuve les événements de mars 1991 où les religieux, avec à leur tête l'Archevêque de Bamako, Monseigneur Luc Sangaré et l'imam Balla Kallé, entre autres, ont démarché l'ancien président Moussa Traoré. Mahmoud Dicko ajoute qu'au plus fort du bras de fer ayant opposé le Collectif de l'opposition au président Alpha Omar Konaré en 1997, nous avons été sollicités. Ce qui fera dire au président du Haut conseil islamique que " Nous n'avons jamais été associés à quoi que ce soit, mais chaque fois que ça ne va pas, on nous court après. Il faut que les choses changent ". Mahmoud Dicko précise que ce n'est pas un crime pour un musulman, de surcroit responsable religieux, de faire de la politique.
Même son de cloche chez Cherif Ousmane Madani Haidara. Qui indique que le problème est mal posé. La question qu'il y a lieu de se poser, selon lui, est de savoir si oui ou non un Malien doit faire de la politique.
En clair, pour lui, un leader religieux est avant tout le citoyen d'une nation qui a droit aux mêmes aspirations que les autres. " On est citoyen avant d'être religieux. On va aux urnes en tant que Malien et non en tant que représentant de telle ou telle confession religieuse ". Pour Chérif Ousmane Madani Haïdara, " la religion et la politique se recoupent. Les deux concepts sont loin d'être contradictoires. Surtout si l'on sait que la vocation de tout homme politique doué d'un minimum de bon sens est de bâtir une société de justice et d'équité et de mettre à la disposition de son peuple les moyens de son épanouissement. A ce niveau, je ne vois aucune différence entre les deux concepts idéologiques ". Chérif Ousmane Madani Haidara précise que la religion a, de tout temps, été au cœur de la politique au Mali quand on part du fait qu'on est à la fois homme de foi et homme politique.
Mamadou Diallo et Bandiougou Doumbia s'étonnent que de telles discussions puissent encore lieu au Mali. L'un et l'autre estiment qu'en aucun moment le caractère laïc de l'État n'a été mis en cause par les musulmans.
Nos interlocuteurs ont justifié leur présence dans le débat politique par le fait que pour mieux défendre leurs aspirations, dont les valeurs culturelles et religieuses, il vaut mieux être au cœur du système et non à la périphérie.
«Assimiler l'islam aux excès est insupportable»
Le président du CNID, l'honorable Mountaga Tall, est en phase avec ses prédécesseurs sur la question. Il est considéré, avec le patron du RPM, Ibrahim Boubacar Kéita, comme faisant partie des personnalités politiques les plus proches des courants religieux. " Il y a une espèce de séparation rapide que l'on observe dans notre pays entre la classe politique et la société civile. Qu'il s'agisse des religieux ou d'autres composantes de la société civile. Ce mur ne devrait jamais exister. Il faut tout faire pour l'abattre " a déclaré le député élu à Ségou.
Mountaga Tall dit prendre ses distances avec ceux qui redoutent la présence des responsables religieux dans l'arène politique. Il écarte la crainte de l'émergence d'un islamisme rampant. Il ne croit pas si bien dire lorsqu'il assène, à qui veut l'entendre, que " les gens se construisent eux-mêmes des épouvantails et après ils ont peur de ce qu'ils ont créé. Il faut mettre la citoyenneté au cœur de l'action publique et considérer que tous les citoyens ont le devoir de participer à l'action publique. Moi je refuse qu'on dise les musulmans, les députés, les musulmans, les politiques. Nous sommes tous politiques et hommes de foi ".
Pour le député de Ségou, on ne doit pas assimiler les musulmans à des extrémistes. Le président du CNID d'ajouter que " la foi ne saurait constituer une tare ou un délit qu'on dénonce. Qu'il s'agisse des musulmans ou de n'importe quelle autre composante de la société, il y a des gens d'excès. Mais assimiler l'islam aux excès est insupportable. Toutes choses qui lui feront dire qu'il y a une très mauvaise compréhension de la laïcité qu'on a tendance à assimiler à l'irréligiosité ". Pour Mountaga Tall, très prolixe sur le sujet, une précision de taille s'impose : l'État irreligieux n'est pas un État laïc, l'État religieux n'est pas un État laïc. L'État laïc, c'est l'État a-religieux. C'est-à-dire l'État qui intègre toutes les valeurs religieuses. A partir de ce moment, " il n'y a aucune crainte que les gens de foi participent à l'action publique d'autant que dans un pays comme le nôtre, ils représentent (toutes religions confondues) 95% ou plus de la population. Mieux, on n'a jamais observé d'excès et au Mali personne n'a parlé d'État théocratique ".
Autre fait significatif pour le premier responsable du CNID : " A partir du moment où les partis politiques n'ont jamais su mobiliser 30% de Maliens, il faut s'interroger et essayer de trouver une réponse. C'est pourquoi, j'estime que tous les Maliens doivent participer à la gestion de la cité "
Abdoulaye DIARRRA
Quelle est votre réaction ?
![like](https://site.maliweb.net/assets/img/reactions/like.png)
![dislike](https://site.maliweb.net/assets/img/reactions/dislike.png)
![love](https://site.maliweb.net/assets/img/reactions/love.png)
![funny](https://site.maliweb.net/assets/img/reactions/funny.png)
![angry](https://site.maliweb.net/assets/img/reactions/angry.png)
![sad](https://site.maliweb.net/assets/img/reactions/sad.png)
![wow](https://site.maliweb.net/assets/img/reactions/wow.png)