Depuis le début de l’intervention militaire française au Nord du Mali, les interrogations se multiplient sur les véritables intentions de la France, et la médiatisation qui s’en est suivie donne une nouvelle dimension au conflit dans le nord du pays.
Faut-il rappeler qu’avant la tempête médiatique, le Mali était à la recherche de solutions pour sortir d’une crise politique et institutionnelle (suite au coup d’État du 22 mars 2012) et pour faire face à une crise sécuritaire dans les régions nord du pays où divers groupes armés se sont alliés pour imposer leur loi aux populations civiles. Des groupes armés qui affirmaient, il n’y a pas si longtemps, vouloir instaurer un « État islamique » au Mali et prétendaient combattre « au nom de l’islam et pour l’islam ».
Une prétention dénoncée aussitôt par le Haut Conseil Islamique du Mali. Son président, Mahmoud Dicko s’interrogeait, à juste titre, sur cet "islam" qui accepterait, dans un pays peuplé à 90% de musulmans, de faire souffrir par la terreur, au nom de Dieu, des populations qui manquent de tout et dont la souffrance sociale est quotidienne et chronique.
Quel islam ferait l’apologie et la propagande de la guerre dans un environnement où règne la paix et où il faut l’entretenir ? Dans sa mobilisation contre l’utilisation fallacieuse et mercantile de la référence islamique, le Haut Conseil Islamique du Mali attendra en vain un soutien des pays musulmans, qu’il espérait recevoir par le biais de l’Organisation de la Coopération Islamique (OCI) ou encore de quelques télé-prédicateurs.
Mais alors que la situation au Nord du Mali ne semblait guère intéresser les organisations musulmanes et les prédicateurs, voilà que ces derniers commencent à se faire entendre depuis le déclenchement de l’opération Serval par la France.
L’OCI a été une des premières organisations à réclamer un cessez-le-feu et à se prononcer contre une intervention étrangère. Par la suite, Al-Qaradâwî, par la voie d’un communiqué de l’Union internationale des oulémas musulmans, a adopté la même position. Sans parler de quelques personnalités musulmanes en Europe qui, d’une manière ou d’une autre, mettent en question l’intervention française au Nord du Mali, ce qui est tout à fait leur droit.
Pourquoi ce soudain intérêt ?
C’est la question que se pose aujourd’hui le Haut Conseil Islamique du Mali (HCIM). Ce dernier n’hésite pas à dénoncer ce qu’il qualifie « d’hypocrisie » de la part de certains pays et organisations musulmanes. Son président, profitant d’une conférence de presse à Bamako, disait «
dénoncer avec vigueur la campagne de dénigrement émanant de certains pays musulmans, de certains leaders religieux influents dans le monde musulman, qualifiant l'intervention militaire française aux côtés des troupes maliennes comme une agression contre l'islam » avant d’ajouter
« les pays musulmans nous ont abandonnés », voir
RFI.
Nous sommes en droit de nous interroger : ces prises de position soudaine, dictées par l’agenda médiatico-militaire, ne sont-elles pas motivées, beaucoup plus, par d’autres idéologies ou, selon la formule Pascalienne, par d’autres « idées de derrière la tête » que par le souci du bien-être des populations maliennes elles-mêmes ? Si tel n’était pas le cas, les organisations islamiques, les leaders politiques du monde islamique et quelques prédicateurs et conférenciers n’auraient pas brillé par leur silence depuis presque une année. Une année durant laquelle, le Haut Conseil Islamique du Mali espérait, selon son président, la « solidarité des autres pays musulmans » et, particulièrement, de l’OCI (dont le Mali est l’un des membres fondateurs).
Il est ainsi possible de comprendre l’agacement du HCIM quand certains s’instituent en donneur de leçon et souhaitent que l’organisation condamne l’intervention française. Des personnes dont l’intérêt pour le conflit au nord du Mali serait en définitive nourri par l’agitation médiatique ou par d’autres idéologies et réflexes conscients ou inconscients. Et aucune de ces attitudes ne permettrait de saisir la situation dans le nord du Mali dans toute sa complexité.
Et quoi qu’il en soit, nous pensons qu’il n’y a pas de leçon à recevoir de ceux-là même qui restent silencieux face à «
la ruée sauvage de la violence » (Soljenitsyne) et de la barbarie. Un silence qui prospère chez bon nombre d’acteurs musulmans dès lors qu’il s’agit de cet « islam noir » (Vincent Monteil) que l’on prend pour périphérique, pas totalement islamique…et dont une ré-islamisation, même barbare, serait en quelque sorte légitime. Une légitimité qui se trouve escortée par le silence des uns et, peut-être, par le pétrodollar des autres ou, du moins et non des moindres, par leur baraka idéologique.
Une contribution de Mr
Youssouf T. Sangaré,
Diplômé d’un Master d’islamologie et co-fondateur de la revue numérique «
Les Cahiers de l’Islam ».