Le Mali, coupé en deux, est coincé entre une sécession nordiste et une "ex-junte"qui entend dicter sa loi aux autorités de transition. Soumeylou Boubeye Maïga, ancien ministre des Affaires étrangères et de la Défense, prône une intervention de la Cédéao.
Hier à Alger, aujourd'hui à Paris, demain à Bamako ou Abidjan... Ancien ministre des Affaires étrangères du Mali, Soumeylou Boubeye Maïga vole d'une capitale à l'autre, muni de ce seul message: "Il faut de toute urgence prendre la mesure de la gravité du bouleversement régional qu'a déclenché la crise malienne". Lui qui, comme tant d'autres prétendants, briguait la succession du président Amadou Toumani Touré, alias ATT,renversé en mars par un putsch, connaît fort bien les pièges d'une aire sahélienne asservie ou menacée par le djihadisme, naguère zone grise, désormais trou noir. Il faut dire qu'il fut titulaire du portefeuille de la Défense, puis chef des services de renseignement d'une nation plus que jamais coupée en deux, coincée entre le marteau de la sécession nordiste et l'enclume d'une "ex-junte" encore assez influente pour dicter sa loi aux autorités de transition. Alors même que les émissaire de l'Onu, de l'Union africaine (UA) et de la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cédéao), réunis ce jeudi à Abidjan, planchent sur une hypothétique intervention militaire, cet ancien journaliste livre une analyse lucide mais volontariste de l'imbroglio malien.
A quoi ressemble selon vous l'état des lieux à l'instant T?
Un immense territoire -800000 km²- est tombé sous la coupe de groupes armés hostiles à l'Etat du Mali, tous satellisés par Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). D'autant que les faiblesses du MNLA [Mouvement national de libération de l'Azawad, composante touarègue "laïque" de la nébuleuse séparatiste] sont devenues patentes.
Brandie depuis des mois, l'option militaire peine à prendre corps. Pourquoi?
Au sein de la Cédéao, il existe un consensus quant à la nécessité d'une intervention armée. Reste à s'accorder sur ses modalités. La formule idéale, à mon sens: une force aux couleurs de la Communauté ouest-africaine, adossée aux capacités militaires maliennes, et renforcée par des moyens extérieurs. A l'armée malienne, via un noyau dur formé d'un ou deux régiments familiers du terrain, les actions en profondeur; avec le concours de foyers de résistance locaux qu'il convient de fédérer. Aux Casques Blancs de la Cédéao le contrôle des villes libérées et des axes routiers, ainsi que la sécurisation des populations. Aux partenaires occidentaux enfin, l'appui logistique au sol comme dans les airs, et un soutien en matière de renseignement et de formation. Encore faut-il pour parvenir à ce modèle lever l'hypothèque de la gouvernance à Bamako.
La stratégie du médiateur burkinabé Blaise Compaoré a pourtant dérouté, voire exaspéré, plusieurs de ses pairs ouest-africains...
Il est vrai que sa conduite de la médiation, jugée pour le moins accommodante envers [le capitaine putschiste] Amadou Sanogo a suscité un certain agacement. Dès lors que vous signez les documents censés baliser la transition avec la junte, vous lui conférez un statut d'acteur central, y compris à l'heure de choisir le Premier ministre et de composer le gouvernement. Mais voilà: le chef de l'Etat ivoirien Alassane Ouattara, président en exercice de la Cédéao, se doit de ménager le médiateur et ne veut à aucun prix apparaître comme le "bourreau" du Mali.
Votre pays dispose-t-il des ressources humaines et matérielles pour fournir le "noyau dur" que vous préconisez?
N'oubliez pas que les djihadistes ont conquis leur "royaume" sans la moindre perte et à la faveur d'une débandade
En gros, une demi-brigade [soit environ 3000 hommes] devrait faire l'affaire. Car Al-Qaïda n'est pas capable de tenir et d'administrer un territoire aussi vaste; même si l'on voit affluer dans la moitié nord du Mali des volontaires de tous poils, mais aussi s'étoffer les groupes mafieux mouillés notamment dans le narcotrafic. J'estime à un millier environ l'effectif combattant côté djihadistes. Ceux-ci détiennent certes beaucoup d'armes. Mais tous savent-ils s'en servir? N'oubliez pas qu'ils ont conquis leur "royaume" sans la moindre perte et à la faveur d'une débandade. Or, il existe au Mali une véritable élite militaire, même si elle a été quelque peu marginalisée sous ATT. Côté opérationnel, l'équipe Sanogo doit bien entendu être tenue à l'écart. Il suffit d'offrir à son patron, pourvu d'ailleurs d'un statut d'ancien chef d'Etat, une porte de sortie.
Le péril islamiste guette plus d'un pays extérieur à la Cédéao...
Voilà pourquoi il faut élargir le front à tous les pays menacés par le même danger. Donc intégrer au dispositif le Tchad, la Mauritanie et, bien sûr, l'Algérie. On sait cette dernière opposée par principe à toute "ingérence extérieure". Mais une opération sous label Cédéao échappe à ce grief. Dès lors qu'une action sera engagée, Alger n'aura d'autre choix que de s'y associer. Si ses dirigeants veulent exercer un leadership qu'ils estiment naturel, ils doivent l'assumer. On ne peut revendiquer une primauté ou un prestige diplomatique sans s'impliquer plus avant. Le président Abdelaziz Bouteflika et son entourage savent bien qu'ils ne peuvent miser sur un statut d'oasis sanctuarisé comme par miracle. Et ils ne peuvent tolérer un quasi-Etat de type Aqmi à leur frontière. Déjà, le fait de couper les lignes de ravitaillement des groupes djihadistes opérant dans le Nord-Mali nous serait d'un grand secours. Si la jonction MNLA-islamistes se consolide, c'est toute la communauté touarègue -puissamment représentée au demeurant dans le bassin gazier et pétrolier algérien- qui risque de basculer, quitte à se voir réduite à un rôle de supplétif. Une certitude: à Alger, la hiérarchie militaire a des enjeux et des menaces évoqués ici une perception claire.
Propos recueillis par Vincent Hugeux, publié le 07/06/2012 à 22:04
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