« Médias et élections » : du rôle et de la responsabilité des hommes de
Les 28 et 29 juillet dernier, le Conseil supérieur de
Dans tout système démocratique, les périodes électorales constituent inévitablement des périodes de tension. Cette tension est aisément constatable dans des pays de longue tradition démocratique ainsi que cela est visible aujourd’hui aux Etats-Unis et en France, où s’amorcent les pré-campagnes. Elle est présente même lorsque le rapport de forces est apparemment déséquilibré et que l’issue semble connue à l’avance. Elle est toujours là, même quand le scrutin ne semble pas mobiliser les foules, car à ce moment, les suffrages, en se faisant plus rares, deviennent plus recherchés. La tension est inhérente à la conquête du pouvoir pour la bonne raison que celle-ci n’est jamais une entreprise anodine, que l’enjeu soit local (élections municipales) ou national (présidentielles). Dans cette compétition sans concession, le combat des idées et la confrontation des programmes n’excluent pas le recours à des méthodes abruptes et parfois peu élégantes.
Ce bref préambule est nécessaire, à notre avis, pour situer à leur juste importance le rôle et les responsabilités des hommes de médias dans un processus électoral. Car si la compétition électorale constitue une période cruciale pour les acteurs politiques, elle représente aussi une séquence complexe à gérer pour les journalistes. Ces derniers voient en effet leur savoir-faire professionnel et leurs principes déontologiques soumis à rude épreuve sous la pression conjuguée du politique et de l’opinion publique.
Le premier est intéressé à se garantir sinon la faveur, au moins la sympathie des médias. Il cherchera donc naturellement à accaparer ceux-ci, voire à les impressionner si la séduction échouait. La seconde exige d’être complètement informée et de connaître le dessous des cartes, comme on le dit.
Pris littéralement entre deux feux, les hommes de médias peinent souvent à trouver le juste milieu qui consiste à donner une information aussi exhaustive et aussi équilibrée que possible tout en préservant leur droit d’analyse, et donc de jugement. Comment y parvenir ? C’est ce que nous allons examiner dans le présent exposé. Nous adressant à un auditoire déjà familier de la chose médiatique, nous nous efforcerons de nous montrer pragmatiques dans nos analyses et nos propositions.
I. Le rôle des hommes de médias dans un processus électoral.
On entend quelquefois dire que les médias ont fait gagner les élections à tel ou tel candidat. A notre avis, cette expression doit être précisée. En réalité, ce ne sont pas les journalistes qui, en s’engageant ouvertement et massivement en faveur d’une personnalité, ont entraîné leur public derrière eux et vers ce compétiteur.
C’est plutôt le candidat qui par une stratégie intelligente de communication a su faire ressortir ses points forts, faire admettre sa spécificité et donc attirer l’attention des médias sur lui. L’exemple de Barack Obama est là pour le prouver. L’actuel président des Etats-Unis n’était ni le favori des démocrates lors des primaires, ni le vainqueur désigné face à Mac Cain. Mais il a su à chaque étape de sa progression mettre en avant ses qualités d’orateur, l’originalité de sa personnalité et la force de son slogan de campagne.
Ce rappel est nécessaire pour rappeler quel est le rôle exact d’un journaliste dans un processus électoral. Il ne peut en aucun cas être un acteur impliqué, un rabatteur de voix pour un candidat ou un parti. Un tel choix lui coûterait immanquablement sa crédibilité et l’estime de son public. Pendant le processus, l’homme des médias doit rester un observateur averti, perspicace et neutre.
Averti, c’est-à-dire bon connaisseur de la matière qu’il doit traiter. Nous savons que dans les rédactions maliennes la spécialisation est difficile à réaliser et que très souvent le même journaliste touche à plusieurs matières. Mais à défaut d’être des experts en politique, il est nécessaire que ceux qui couvriront les élections aient quand même une certaine pratique du domaine politique. Un journaliste qui ferait son baptême du feu politique lors d’une élection s’expose tout immanquablement à commettre de graves erreurs par méconnaissance du sujet et des acteurs.
Perspicace, car l’homme de médias doit cultiver la faculté de garder une distance critique avec les évènements qu’il couvre. Il ne peut se limiter à relater les meetings, à recueillir les déclarations, à recevoir les communiqués de presse et à diffuser les résultats. Le public attend de lui des informations sur les stratégies des états-majors, les erreurs éventuelles des staffs de campagne, l’ambiance dans le pays. C’est sur la capacité à juger les protagonistes et à apprécier les évènements que la différence se fait entre les différentes rédactions.
Neutre, parce que c’est pour l’homme de média la seule manière finalement de pouvoir parler avec tous les acteurs et pour conserver son droit au commentaire. L’exercice n’est pas facile, mais il est incontournable dans un contexte où les pressions se multiplieront de toutes parts.
II. Les responsabilités des hommes de médias dans un processus électoral
Ces responsabilités sont en relation directe avec le rôle de l’homme de média tel que défini plus haut.
Nous distinguerons deux missions principales qui consistent à donner aux citoyens une information aussi exhaustive et aussi compréhensible que possible ainsi qu’un commentaire équilibré.
II.1. La fourniture d’une information exhaustive et compréhensible
En période électorale, il existe une masse énorme d’informations institutionnelles portant notamment sur :
- l’encadrement législatif des consultations (Loi électorale) ;
- les structures chargées de l’organisation matérielle (ministère de l’Administration territoriale) et de la surveillance des opérations de vote (CENI) ;
- les droits et les obligations des compétiteurs ;
- les dispositions prises en direction des électeurs.
Les journalistes doivent mettre ces informations à la disposition du grand public, mais ils doivent le faire en se pliant aux exigences de leur profession, c’est-à-dire en procédant à un tri et à une mise en forme. Il ne s’agit pas de publier in extenso la documentation disponible, mais de sélectionner dans celle-ci ce qui est intéressant à savoir pour l’électeur moyen et lui proposer cette information dans une forme digeste et attractive.
A côté de l’information institutionnelle, il se trouve une information factuelle tout aussi importante et aussi variée se rapportant aux faits, gestes et déclarations de tous les acteurs impliqués dans le processus électoral (personnel politique, gouvernement et institutions de
Sur cette matière, le journaliste doit appliquer la démarche professionnelle décrite plus haut. Mais au tri et à la mise en forme il ajoutera la vérification pour s’assurer de l’authenticité des documents mis à sa disposition et le recoupement afin d’établir la légitimité des intervenants (par exemple celle d’une personne se présentant comme porte-parole d’un groupe de partis ou d’un staff de campagne alors que rien ne l’accrédite comme tel).
Ainsi qu’il est possible de le constater, l’information exhaustive des citoyens ne s’assimile pas à une banale compilation de documents ou à une relation mécanique des faits. Sa gestion exige des hommes de médias beaucoup d’exigence professionnelle et une grande vigilance vis-à-vis de la matière factuelle. La tâche est ingrate et la tentation peut être forte de se dispenser des efforts de tri, de mise en forme, de vérification et de recoupement.
Mais si le journaliste ne s’astreint pas à ces contraintes, il livre aux citoyens une matière peu intéressante ou insuffisamment fiable. Dans un cas comme dans l’autre, il aura failli à sa mission d’informer.
II.2 Le commentaire équilibré.
Ainsi que nous l’avions indiqué auparavant, les lecteurs, auditeurs et téléspectateurs ne peuvent se contenter en période électorale d’évènements bruts et d’éléments purement factuels.
Ils ont besoin de saisir l’importance des enjeux, de comprendre les stratégies mises en œuvre par les états-majors, de distinguer les atouts et les points faibles des hommes et des partis en compétition. Les hommes des médias en plus du devoir de rapporter ont donc l’obligation de commenter. L’exercice est certes beaucoup plus facile pour la presse privée que pour les organes des médias publics. Il s’avère tout particulièrement compliqué pour la télévision publique que les instances de régulation obligent à une unité de traitement et à une égalité parfaite de temps d’antenne à accorder aux candidats à l’intérieur comme en dehors des créneaux spécialement créés pour gérer les messages électoraux.
Il faut souligner dans ce cadre que les tentatives passées de l’ORTM d’ouvrir des espaces de commentaires ont tourné court devant les protestations de certains partis politiques et les mises en garde du Comité d’égal accès aux médias d’Etat. La situation sera-t-elle différente l’an prochain ? Nous ne saurions le dire. Mais nous pensons que l’ORTM dispose des ressources humaines suffisantes pour fournir des commentaires équilibrés si la possibilité lui en était laissée.
Concernant tous les médias, la question que beaucoup poseront est de savoir s’il est possible de fournir un commentaire à la fois équilibré et intéressant. Autrement dit, la recherche du juste milieu ne va-t-elle pas aboutir à un produit sans saveur ? Nous ne le pensons pas. Cependant il y a un préalable pour que la qualité des commentaires soit atteinte. Ce préalable se trouve dans le souhait déjà formulé : la couverture du processus doit être assurée par des journalistes familiers de la chose politique. En effet, leur expérience du domaine les dote d’un background suffisant pour produire des analyses à la fois originales et honnêtes tout en connaissant les lignes à ne pas franchir pour éviter la connivence ou la complicité.
III. Remarques
La couverture des futures élections au Mali représente une perspective à la fois intéressante et complexe pour les hommes de médias.
Intéressante, parce que la présidentielle se place sous le signe de l’alternance. L’actuel chef de l’Etat qui arrive au terme de ses deux mandats avait été élu en tant qu’indépendant et il a choisi de ne formuler aucune préférence quant à sa succession. Intéressante aussi parce que pour les législatives aucun parti n’est assuré d’avoir la majorité absolue à l’Assemblée nationale ainsi que l’avait obtenue l’Adema PASJ en 1992 et 1997. Les compétitions s’annoncent donc très ouvertes, ce qui offre aux journalistes un champ très large de recherche de l’information et de nombreuses possibilités de commentaires.
Complexe, parce que l’incertitude pesant sur l’issue des différents scrutins va exacerber la compétition entre les prétendants et faire monter de manière inhabituelle la tension. Dans ce contexte, il est encore plus difficile pour le journaliste de sauvegarder sa neutralité et de préserver sa liberté de jugement.
Car les pressions sous diverses formes seront très vives sur lui. C’est donc un test de maturité qui attend les acteurs des médias. Nous sommes convaincus qu’ils peuvent le réussir. A trois conditions :
- qu’ils sachent faire preuve d’humilité et se préparer dès maintenant à la délicatesse du challenge qui les attend ;
- qu’ils admettent que plus il y aura de savoir-faire professionnel mis dans la couverture du processus électoral, mieux les journalistes se protègeront eux-mêmes des reproches et accusations qui pourront leur être faits ;
- et qu’ils considèrent l’équidistance comme la règle d’or à observer dans leur comportement vis-à-vis de tous les acteurs (candidats, institutions, société civile).
Ce sont là, trois conditions essentielles à appliquer avec courage et intelligence. Si elles le sont, la presse malienne franchira une étape qualitativement nouvelle dans son évolution. Je vous remercie
Alfousseiny SIDIBE, chargé de mission au ministère de
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