Négocier avec les djihadistes : une solution pour le Mali ?
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Un djihadisme largement endogène
Au Mali, un djihadisme endogène n'est apparu qu'en 2012, à la suite de la décision d'un leader touareg de Kidal, Iyad Ag Ghali, ancien chef de la rébellion touarègue de 1991-1992, qui conserve une importante aura locale. En 2011, Iyad Ag Ghali souhaitait prendre la tête du MNLA, initiateur de la rébellion séparatiste touarègue de 2012, mais en avait été évincé par des officiers touaregs de l'armée libyenne, de retour au Mali à la suite de la chute de Khadafi. Converti vers 2000 par des prédicateurs pakistanais à la secte Dawa Tabligh, rivale des salafistes, Iyad Ag Ghali a alors, en 2011, formé son propre mouvement armé à connotation religieuse, Ansar Dine, et s'est rapproché d'Aqmi (Al-Qaïda pour le Maghreb islamique), un groupe créé en 2007 et composé d'Algériens issus du GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat) réfugiés au nord du Mali en 2000 après avoir refusé de participer aux offres de négociation-réinsertion des autorités algériennes. Grâce à cette alliance, Iyad Ag Ghali a pu reprendre la tête de la rébellion du Nord-Mali en marginalisant le MNLA en 2012, puis en manifestant, en 2013, l'intention d'étendre sa domination par une attaque vers le sud du Mali au nom du djihad, attaque repoussée grâce à l'intervention militaire française Serval de janvier 2013.Une volonté nouvelle de négocier
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Des conséquences à évaluer
Dès lors, une négociation politique est-elle une voie prometteuse ? Il s'agit de mesurer les conséquences d'un compromis : Iyad Ag Ghali en serait probablement demandeur, mais cela l'obligerait à rompre avec Aqmi, dont il devrait alors se protéger. Pour rappel, Aqmi, dominé par des djihadistes algériens, même affaibli par une série de récents revers militaires, ne pourrait qu'être opposé à un compromis qui renoncerait à sa raison d'être. L'Algérie, présumée tutrice d'Iyad Ag Ghali, suivrait de près le processus mais pourrait a priori l'accepter. Iyad Ag Ghali demanderait pour la forme que la loi islamique s'applique sur l'ensemble du Mali, mais il rechercherait surtout le leadership pour lui sur tout le Nord, c'est-à-dire le pseudo Azawad. Il pourrait se rabattre sur une solution lui permettant d'entériner sa domination féodale sur la région de Kidal, dont il ferait une enclave autonome où la démocratie ne serait qu'un simulacre. In fine, le pouvoir de Iyad Ag Ghali ne dépasserait probablement pas ses affidés Ifoghas et la région de Kidal. Les plus importants groupes signataires de l'accord d'Alger, originaires de Kidal et d'inclination islamiste, se réjouiraient, tandis que les autres signataires seraient obligés de se soumettre. On observerait alors un déblocage de l'accord d'Alger. Il est néanmoins prévisible que, quelques années plus tard, Bamako chercherait militairement à reprendre le contrôle de Kidal. En revanche, une partie importante des combattants actuels du JNIM, notamment ceux ralliés au leader peul Amadou Koufa et à Al Morabitoun, ne pourraient renoncer aux armes que si un accord leur offrait aussi des gratifications à travers un nouveau processus de désarmement-réinsertion à financer. Une majorité de djihadistes sont des jeunes désœuvrés dont l'insurrection a des causes économiques et sociales, entre autres l'accès au foncier, la concurrence non régulée entre pasteurs et agriculteurs, la gestion de l'eau, le chômage. Ils ont rejoint les groupes armés faute d'autres perspectives. Mais comment offrir à ces jeunes analphabètes une insertion et des projets, comment assurer la loi et l'ordre alors que l'État est absent et perçu comme un adversaire ? Le réalisme oblige à admettre que les racines de l'extrémisme violent ne seraient guère traitées, même en voulant refaire un nouvel accord généreux pour tous les ex-combattants sur le modèle de l'accord d'Alger. En outre, le JNIM n'est qu'une coalition de groupes assez autonomes, poursuivant des buts divers avec des moyens différents. Ainsi l'imam Amadou Koufa a une conception de l'islam particulièrement fruste et radicale tout en n'hésitant pas à attaquer des civils pour environ le tiers de ses attaques, soit 78 % des attaques du JNIM contre des civils, tandis que Iyad Ag Ghali est plus pragmatique et politique, plus respectueux des populations. Il serait plus difficile d'amadouer Amadou Koufa qu'Iyad Ag Ghali, qui a déjà signé des accords avec le gouvernement en 1992 et avait repris une vie civile. Le processus devrait être complété par la recherche de compromis et de gratifications auprès de tous les chefs intermédiaires et combattants qui pourraient s'y prêter, par des contacts au plus près des communautés locales et villageoises. Interrogé sur le dialogue avec les djihadistes, le Premier ministre Ouane a mis l'accent sur ses contacts avec les communautés rurales. Une proximité de l'État malien serait certainement bénéfique, mais encore faudrait-il que Bamako puisse offrir à ces personnes, généralement illettrées, des services et des perspectives d'emplois ou des avantages matériels. Un tel programme n'a encore pas été mis sur pied et nécessiterait un fort accompagnement de la communauté des donneurs, qui n'irait pas de soi, compte tenu de la réticence française au dialogue avec les extrémistes. L'EIGS, État islamique au grand Sahara, rejetant le dialogue, attirerait à lui tous les mécontents qui, pour des raisons idéologique ou matérielles, s'écarteraient d'un processus initié entre le gouvernement et Iyad. Enfin, le départ partiel ou total des forces étrangères, en particulier de la force française Barkhane, incontournable dans la négociation, créerait un blocage ou une situation nouvelle particulièrement propice aux groupes extrémistes que l'armée malienne seule ne serait nullement en mesure de contenir. C'est pourquoi Bamako n'envisage pas cette possibilité, souhaitant concilier répression et dialogue comme des volets complémentaires. Pour ces différentes raisons, la négociation évoquée ne saurait être une panacée, comme l'a reconnu le Premier ministre Ouane lui-même, sans évoquer le détail des difficultés. Au mieux, elle diviserait un peu plus la nébuleuse djihadiste en y provoquant davantage de combats internes. Il serait toutefois nécessaire que Bamako conserve les moyens militaires de se protéger. Elle pourrait néanmoins présenter l'avantage de renforcer les contacts avec des jeunes ruraux marginalisés mais récupérables et de mieux faire comprendre à une opinion publique décontenancée les véritables enjeux du conflit interne au Mali. Au pire, elle compliquerait encore le statut de Kidal sans aucunement améliorer la situation (ni celle du Burkina Faso et du Niger) ou même accélérerait le délitement du pays. Mais Bamako mesure ces risques et n'a pas décidé de tout miser sur le dialogue. Les autorités maliennes de la transition sont conscientes qu'une solution ne peut être que globale, en traitant les dysfonctionnements économiques, sociaux et de gouvernance qui sont à la racine du mal, tout en gardant un volet militaire et policier incontournable pour tenter d'assurer le respect de la loi et de l'ordre dans les territoires. Par Nicolas Normand* Publié le 08/12/2020 à 11:12 | Le Point.frQuelle est votre réaction ?
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