Qui dirige le Mali ?
En dépit de l’investiture du président de la République par intérim et la mise en place du gouvernement de transition, le Mali apparaît comme un Far West où seul règne la loi du colt.
Les arrestations arbitraires se poursuivent. Dans les rangs des forces armées et de sécurité, comme au sein des civils. Avec leur cortège d’innocentes victimes et de mort. S’y ajoute l’occupation des 3/4 du pays par les rebelles du MNLA et leurs alliés islamistes : Ançar dine et Aqmi.
Déboussolés, les Maliens ne savent plus à quelle autorité se fier. A la junte militaire ? Au président de la République par intérim ? Ou au Premier ministre de « pleins pouvoirs », sans pouvoir réel ?
En un mot, qui dirige le Mali ? Chronique d’une débâcle annoncée.
Après le retour à l’ordre constitutionnel, le Comité National pour le Redressement de la Démocratie et la Restauration de l’Etat (CNRDRE) a continué à faire parler de lui. Avec des arrestations à la pelle, des interpellations et libérations des anciens dignitaires du régime ATT. Malgré la remise du pouvoir aux civils, avec l’investiture du Président intérimaire Dioncounda Traoré, conformément à la constitution du 25 février 1992. Plusieurs personnalités ont déjà séjourné dans les geôles du CNRDRE. Et plusieurs autres seraient dans la ligne de mire de la junte militaire. Du moins, si l’on en croit nos sources.
C’est à cette situation que semble assister les Maliens. Car, même après avoir accepté le retour à l’ordre constitutionnel, le Capitaine Amadou Haya Sanogo et ses hommes continuent à gérer le pays. Ou se comportent comme tel.
Plusieurs décisions sont prises depuis son Quartier Général de Kati.
Toute chose qui semble mettre en doute le retour à l’ordre constitutionnel. D’où la question qui brûle, aujourd’hui, toutes les lèvres : qui dirige le Mali ?
« Je pense que l’accord-cadre que la CEDEAO et le CNRDRE ont signé n’est pas clair et comporte beaucoup de zones d’ombre, au regard de ce que nous voyons sur le terrain. Car les militaires détiennent toujours le pouvoir. Les militaires continuent d’arrêter des personnalités politiques et militaires. Et je crois que si le pouvoir était, sincèrement, remis aux civils, ils ne pourraient pas procéder à ces arrestations sans l’aval de ces autorités », explique un juriste.
Lequel ajoute que « avec le retour à l’ordre constitutionnel, s’il devait y avoir interpellation, pour quelque dossier que ce soit, ce sont les autorités intérimaires qui devraient procéder à cela, et non les putschistes. Car cela prouve quelque part qu’ils détiennent toujours le pouvoir».
Mais pour cet enseignant que nous avons rencontré, la junte militaire doit être associée à la transition. Jusqu’au bout.
« Il faut que les militaires soient impliqués dans tout jusqu’à l’élection d’un président de la République. Car, ils ont permis aux Maliens de connaître beaucoup de choses sur la gestion du pays durant ces 10 dernières années. Durant ces années, les autorités ont menti au peuple, pris des décisions au nom du peuple sans le concerter. C’est pourquoi, les militaires doivent participer à tout le processus, que ce soit l’intérim ou la transition. Ils doivent être là comme une sentinelle pour veiller au changement que ce coup d’Etat incarne ».
Même avis pour ce leader politique, membre d’un parti politique de l’opposition : « Je pense que ceux qui demandent le retour des militaires dans les casernes ont la mémoire courte et sont animés de mauvaise volonté. Car, n’eut été les militaires, même le gouvernement qui allait être mis en place ne refléterait pas les aspirations des Maliens. Aussi, la CEDEAO aurait déjà envoyé ses militaires ici à Bamako et pris des décisions sans tenir compte du point de vue des Maliens. A l’image de ce que les Maliens ont vu durant ces derniers jours avec l’arrestation des mercenaires que la junte a réussi à mettre hors d’état de nuire. Et je pense que les militaires doivent veiller sur la transition comme une sentinelle».
Un autre enseignant, qui a requis l’anonymat, va plus loin dans son analyse. « Comme moi, nombreux sont les Maliens qui voudraient que les militaires assurent la transition. Je suis d’avis que ce soit les militaires même qui dirigent la transition avec un gouvernement de transition, qui soit l’émanation du peuple. Les militaires ne doivent en aucun cas être exclus de la transition, car ils doivent en être partie intégrante ».
Mais, à l’Etat actuel des choses, le pays semble être dirigé par deux présidents de la République : le Capitaine Sanogo, chef de la junte et le président de la République par intérim.
Car, en dépit de l’investiture du Président intérimaire, les militaires continuent de prendre des décisions en leur nom. Bien plus, l’ORTM, qui est le siège de la Radio et de la télévision publiques est toujours sous le contrôle de la junte militaire.
Le chef de la junte, après la signature de cet accord-cadre, a même procédé à des nominations, dans les rangs de l’armée.
Toute chose qui fait que nombreux sont les Maliens qui redoutent un bicéphalisme à la tête de l’Etat. Car, il est clair que malgré le retour à l’ordre constitutionnel, les putschistes détiennent toujours la réalité du pouvoir. Pourtant, selon ce « politicard » qui a requis l’anonymat, le Mali n’a pas besoin d’une « sentinelle » pour sa démocratie. Car, les militaires doivent seulement revendiquer des postes dans le gouvernement de transition. Et concentrer leurs forces sur la défense de l’intégrité du territoire, qui a d’ailleurs été la motivation de leur coup d’Etat. Car, le motif qu’ils ont avancé pour ce coup d’Etat contre ATT, est sa mauvaise gestion de la crise du nord.
Aussi, selon lui, la place d’un militaire se trouve sur le front en tant de guerre. Et dans la caserne, en temps de paix.
Intervenu le 22 mars dernier, le coup d’Etat militaire qui a renversé le régime de ATT a suscité beaucoup d’espoir au sein de l’opinion nationale et internationale.
Car, pour nombre de Maliens, il annonce une rupture avec l’ancien système, basé sur la corruption, le népotisme et le détournement impuni du denier public.
Mais moins de deux mois après, cet espoir semble avoir fait place au désespoir.
Oumar Babi
Dieudonné Diama
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