Régulation du coût du loyer : « C’est une mauvaise politique… »
La crise du logement est une des préoccupations majeures des Maliens. Elle s’est répercutée sur la location, dont le coût grimpe de façon exponentielle à Bamako, en particulier. Dans l’optique de soulager nos concitoyens, le gouvernement envisage de réguler ce secteur. Pour comprendre la problématique du logement au Mali, nous sommes allés à la rencontre d’un expert de l’immobilier, Mamadou G. Coulibaly, Président Directeur Général de la Société immobilière et foncière du Mali (SIFMA). Qui écarte d’un revers de la main toute initiative visant à réguler la location au Mali. « C’est une mauvaise politique qui n’a jamais marché… », précise-t-il. Lisez plutôt ses explications.
Il y a quinze ou vingt ans, un appartement (2 chambres, 1 salon, 1 douche intérieure, et 1 magasin) est loué à 17500 FCFA. Ce même appartement coûte, même dans les quartiers reculés de Bamako, entre 75000 et 100.000 FCFA. Qu’est-ce qui est à la base de ces augmentations substantielles ?
Le PDG de la SIFMA, Mamadou Coulibaly, explique qu’il y a plusieurs facteurs qui concourent à cette augmentation. D’abord, Bamako est la capitale du Mali. Elle accueille les ressortissants de toutes les régions du Mali. Donc, il y a une urbanisation galopante et un taux de croissance extraordinaire de la population.
Ensuite, le Mali est un pays enclavé (sans débouchés sur la mer), dont les ressortissants ont des revenus faibles. Le Mali a également, du point de vue démographique, une population jeune. Qui aspire à fonder très rapidement son foyer. Du coup, la demande est plus forte que l’offre.
Autre réalité qui est probablement à la base de la crise du logement, c’est la mauvaise gestion du patrimoine foncier. Mamadou Coulibaly soutient que les maires sont allés au-delà en multipliant les lotissements illégaux. « Ce n’est pas leur vocation de vendre les parcelles… », a affirmé le PDG de la SIFMA. Qui précise que l’attribution d’un mètre carré de parcelle doit être approuvée en conseil des ministres.
S’agissant du rôle des agences immobilières dans la hausse du coût du loyer, elle n’est pas établie. Selon Mamadou Coulibaly, les agences immobilières ont pour vocation de construire des logements pour autrui. Autrement dit, elles doivent faciliter l’accès à un logement décent au plus grand nombre de Maliens et par conséquent réduire le coût du loyer.
D’ailleurs le gouvernement du Mali est en train d’œuvrer pour cette réduction. Voulant emboiter le pas à des pays voisins afin de mettre fin à l’anarchie dans la fixation des prix du loyer, le gouvernement préparerait un projet de texte pour plafonner la location. Bonne ou mauvaise initiative ? L’avis du PDG de la SIFMA est sans appel : « Ce n’est pas bien. C’est une mauvaise politique qui n’a jamais marché. Au Sénégal, on l’a fait, ça n’a rien donné. Vous sortez de ma maison, on renégocie… ». Pour M. Coulibaly, la réduction du coût de la location pourrait être une réalité si l’Etat accepte « de baisser les impôts sur les matériaux de construction et d’accorder des exonérations sur ces matériaux pour que les gens offrent plus de logements… ».
Une politique immobilière ?
Toutes fois, le PDG de la SIFMA consent que l’Etat soit en train de faire des efforts depuis le début de la 3ème République par la construction de logements sociaux. Mais, c’est un verre de sel dans un fleuve. Moins de 20.000 logements en vingt ans, dans un pays où il y a un besoin de 450 000 logements par an. Notre expert de l’immobilier salue quand même ces efforts, dont le but est d’offrir à chaque malien un logement décent.
Cependant, il précise que l’Etat n’est pas le seul détenteur de la solution. C’est pourquoi, Mamadou Coulibaly appelle les promoteurs immobiliers à s’approprier le programme présidentiel de 50.000 logements sociaux afin de lui donner un contenu. Même si ces derniers (les promoteurs immobiliers) ont aussi un besoin immense d’accompagnement. Parce que, l’immobilier est d’abord un métier neuf. Mais aussi, un secteur dont les acteurs n’ont pas assez de moyens pour faire face à la forte demande de logements. Il leur faut, alors, une bonne politique immobilière. Selon Mamadou Coulibaly, celle-ci nécessite l’association de « 3 F » (Foncier-Financement-Fiscalité), notamment une politique foncière, des sources de financement et une politique fiscale attractive. Mais les Maliens ne doivent pas se leurrer, « tous ces efforts ne peuvent pas avoir un impact réel sur le coût de la location que quand ils atteindront un seuil critique », a indiqué Mamadou Coulibaly.
Idrissa Maïga
MICRO TROTTOIR
Que pensent les bamakois du coût des loyers ?
Le coût exorbitant des loyers est une préoccupation partagée par la majorité des populations et particulièrement celles de Bamako. Fonctionnaires, étudiants, ouvriers et ressortissants de Bamako, vivent au quotidien le calvaire de la location. Pour comprendre les raisons de leur désarroi, nos reporters ont échangé avec certains d’entre eux. Ils appellent presque tous l’Etat à agir pour mettre fin au monopole de fait des propriétaires de maisons dans la fixation du prix des loyers. Reportage.
Amadou Kassé, enseignant
« La location est devenue notre souci majeur… »
Le loyer est un sujet qui me concerne vraiment parce que ça fait quatre ans que je suis en location. Donc c’est un problème parce que les revenus sont insuffisants, s’il faut payer une chambre à dix mille voire quinze mille francs, c’est très difficile.
Je pense que le gouvernement doit essayer de rendre les habitats à loyer modéré parce que les locateurs profitent souvent de certaines situations pour s’enrichir comme, par exemple, l’exode rural, la croissance démographique et surtout actuellement avec la crise au nord qui a provoqué un flux des populations vers le sud. La location de maison est devenue notre souci majeur avant même celui du prix de condiment.
En effet la forte demande en la matière qui ne fait que croitre dans la capitale est devenue un business des sociétés immobilières ou tout simplement de personnes qui veulent faire le maximum de profit. J’ai cherché ma première maison de location en 2008, ce n’était pas du tout facile de trouver et c’était encore moins coûteux que celle dans laquelle je vis aujourd’hui. Parce que celle-ci est gérée par une agence immobilière. Même pour l’avoir, il a fallu que je paie le prix du déplacement de l’agent. Et je ne suis pas le seul, certains de mes amis ont même été escroqués à plusieurs reprises par des agences immobilières.
IBRAHIM NABO, ARTISTE
« L’Etat doit prendre les questions de l’habitat très au sérieux… »
En tout cas, ça fait plus de cinq ans que je suis en location et je peux vous dire combien c’est difficile de vivre en location quand on n’a pas un emploi décent. Actuellement je paie le double de ce que je payais avant pour les mêmes types de chambres. Je viens de quitter dans un pays voisin et là-bas j’ai remarqué que la location est contrôlée par l’Etat. Je crois que le gouvernement du Mali doit faire la même chose à Bamako. Parce que la location est devenue source d’enrichissement. Ce n’est pas pour rendre service qu’on assiste à l’émergence des agences immobilières un peu partout. C’est pour leur propre business. Je crois que l’Etat doit prendre les questions de l’habitat très au sérieux avec l’accroissement de la population.
SALI TOURE, MENAGERE
« On souffre à cause du prix exorbitant du loyer »
La location est très chère à Bamako parce que chaque année le coût du loyer augmente alors que le salaire reste le même. ça fait six ans que je suis en location et chaque année le locateur augmente le prix du loyer. J’ai eu la chance d’aller en Côte d’Ivoire, ce n’est pas comme ça là-bas. Le locataire attend l’arrivée d’un nouveau loyer pour augmenter sur le coût. Ici non seulement le locataire augmente le coût du loyer, mais il ne répare rien dans la maison. Aussi je ne peux même pas me laver avec un seau d’eau au risque de ne pas remplir les toilettes ou même préparer une bonne sauce tant que le loyer n’est pas payé. On vit ces genres de situations quand nous sommes dans la même maison que le locataire. Je crois que le gouvernement doit faire quelque chose pour nous les pauvres si non, on souffre vraiment à cause du prix exorbitant du loyer.
MAHAMANE EL HADJ MAIGA, GESTIONNAIRE CULTUREL
« Le gouvernement doit régulariser le coût du loyer »
Au Mali le coût du loyer n’est pas abordable parce que du jour au lendemain, le propriétaire de la maison peut augmenter sur le prix de la location. Par exemple, à Kalaban Coura ou j’habite une concession depuis 2004, j’avais commencé à 17.500F, aujourd’hui je suis à 30.000 FCFA. Chaque deux ans, il augmente sur le prix.
Il faut que le gouvernement essaye de régulariser le coût du loyer parce qu’un fonctionnaire moyen qui a une grande famille ne peux pas payer plus de 40 000 FCFA de loyer seulement alors qu’il a les besoins de subsistance.
SEYDINA ALI TOGOLA, INGENIEUR VITRERIE ALLIMINIUM
« Je demande au gouvernement de diminuer le prix du loyer »
Le coût du loyer est très élevé. Je gagne de l’argent en fonction du marché, donc ce n’est pas facile. La maison que j’habite à Sirakoro, c’est deux chambres et un salon. Je la paie à 50.000f par mois. Du coup, si on ne gagne pas ça par mois. C’est difficile de vivre en location surtout lorsqu’on a une grande famille. Je lance un appel au gouvernement pour diminuer le prix du loyer et d’intensifier les logements sociaux.
MOUSSA DOUMBIA, PEINTRE
« Il faut être riche pour avoir un logement social »
Le problème de loyer de nos jours est très complexe. Les maisons sont petites. Le prix de leur loyer est élevé. Si on ne touche pas quelque chose à la fin du mois, ce n’est pas facile. Avant, on comptait sur les logements sociaux pour nous aider à avoir un chez soi, mais finalement on a compris qu’il faut être riche pour avoir un logement social.
ALI TOGOLA, CHEF DE STATION DE LAVAGE
« Le gouvernement doit trouver une solution »
Le problème du coût du loyer à Bamako a été un souci pour les habitants de la ville. Ce n’est pas la première, ni la deuxième, ni la troisième fois qu’on me pose cette question et je ne suis pas le seul d’ailleurs. Ce qui est sûr, le loyer n’est pas abordable à Bamako. Mais jusqu’à présent rien n’est fait pour contrôler au moins comment les choses se passent en matière de la location de maison. Tout le monde parle de problème du coût de loyer, mais le prix ne fait que grimper du jour au jour. Je crois que le gouvernement doit trouver une solution pour ce problème qui ne date pas de nos jours.
SEYDOU KAMATE, TAILLEUR
« Quand est-ce que le gouvernement va agir… »
J’habite un appartement (1 chambre, 1 salon et une petite cuisine) pour 35.000Fcfa. C’est trop cher, mais que faire puisque que je ne gagne pas suffisamment pour acheter mon propre terrain et le construire. En plus de cette somme colossale, je dois payer l’eau, l’électricité, la nourriture, etc.
Si j’ai actuellement un souci majeur, c’est de savoir quand est-ce que le gouvernement va agir pour régulariser le prix du loyer afin de me permettre de payer moins cher le loyer et en même temps épargner un peu d’argent pour pouvoir construire ma propre maison. Car ma petite famille est en train de s’agrandir.
Ahamadou Touré
Oumar Sinka, stagiaire
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