Sénégal : ce si vif débat autour des symboles coloniaux
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La symbolique forte de l'île de Gorée
« Cette décision n'est pas soudaine, la réflexion était en cours depuis un moment, notamment face aux critiques depuis la nomination de la place de l'Europe en 2018. La mort de George Floyd a été le déclencheur », explique Doudou Dia, directeur du Gorée Institute, organisation panafricaine de la société civile, avant de rappeler que cette demande a d'abord été faite par les associations de l'île, message ensuite porté par le conseil communautaire composé de membres de la société civile. « La mort de George Floyd a aiguisé la conscience des gens et a réactivé une question ancienne, dans les ex-colonies notamment. Cela a été ensuite renforcé par le confinement dû à la pandémie », analyse Doudou Diène, ancien rapporteur spécial de l'ONU sur les formes contemporaines de racisme, de discriminations raciales, de xénophobie et d'intolérance. Gorée, et ses valeurs de paix et de réconciliation, se devait « d'être à l'avant-garde du combat pour l'éradication totale et définitive de toutes les formes de racisme, particulièrement celles dirigées contre les personnes de race noire, conformément à sa vocation de lieu de mémoire », rapporte M. Senghor.Une dynamique enclenchée depuis un bon bout de temps
Ce changement s'inscrit ainsi dans une démarche globale. Un comité scientifique a été créé afin d'élaborer une documentation d'orientation sur l'aménagement de la place. La statue de « la libération de l'esclavage », actuellement située à côté de la maison des Esclaves, devrait rejoindre la place de la Liberté et de la Dignité humaine lors de son inauguration prévue dans les prochains mois. « Ce comité a aussi en charge la création d'un parcours d'une visite mémorielle, avec des étapes pour aborder la question de l'esclavage et du colonialisme. Le centre international d'archivage et de documentation sur l'esclavage devrait aussi ouvrir prochainement au public », renseigne M. Dia, président de la commission tourisme de l'île.La ville de Dakar interpellée
La réflexion sur les noms des rues fait l'objet de vifs débats au Sénégal. Depuis plusieurs années, ceux-ci reviennent régulièrement sur la place publique. Rue Jules-Ferry, avenue Georges-Pompidou, rue Carnot,… autant de noms hérités de la période coloniale que l'on retrouve dans le quartier du Plateau, le centre-ville de Dakar. « Je suis pour le changement, car nous avons besoin de retrouver notre identité, de mettre en valeur nos figures emblématiques, que beaucoup de jeunes d'aujourd'hui connaissent mal d'ailleurs », argumente Babacar, habitant de Fass. Si le trentenaire est pour « la réparation de cette erreur », il souhaite un équilibre : « On ne peut pas tout renommer, il faut conserver certains noms, mais en introduire d'autres, sénégalais » développe-t-il. Le maire de Plateau, Alioune Ndiaye, a ainsi proposé, via une commission, d'engager une réflexion sur le changement des noms de rues. Preuve s'il en faut que le sujet est clivant dans le pays, son ami Souleymane ne partage pas son point de vue. « Ce sont des éléments historiques que nous devons conserver, qui nous font réfléchir. Le vrai combat est ailleurs, d'autres actions sont prioritaires pour provoquer chez les Sénégalais une prise de conscience et réfléchir à notre destin », avance le jeune Dakarois.Ancienne capitale du Sénégal, Saint-Louis également très concernée
À Saint-Louis, ancienne capitale de l'Afrique-Occidentale française de 1854 à 1865, la polémique concerne surtout la statue du général Louis Faidherbe, ancien gouverneur de la cité. Depuis cent ans, sa statue se tient droite sur la place du même nom et déchaîne les passions. Le blogueur saint-louisien Thierno Dicko, l'un des premiers à demander son déboulonnement il y a dix ans, voit dans cette statue « un symbole de domination et de l'aliénation du peuple sénégalais ». Il réclame son remplacement par une figure locale, à l'image de Lat Dior ou Ndaté Yalla Mbodj, héros de la résistance face aux colons. « Toutes les révoltes débutent d'abord par la démolition des icônes et des symboles dominants d'une civilisation. L'appropriation des noms des rues et les statues érigées sont des expressions du pouvoir dominant des colons. Auparavant, ils ont pris soin de détruire les masques et les statues africaines, arguant que ce n'était pas de l'art, pour changer l'identité des colonisés, pour modifier leur perception et donc asseoir leur domination » note M. Diene. L'inscription « À son gouverneur Louis Faidherbe, le Sénégal reconnaissant » fait particulièrement tiquer ceux qui souhaitent son déboulonnage. « Faidherbe est responsable du massacre de milliers de nos ancêtres », rappelle Thierno Dicko, pointant du doigt la méconnaissance de cette partie de l'Histoire par les Sénégalais. Dakaroise, Denise d'Erneville s'interroge : « Est-ce que déboulonner cette statue va régler nos problématiques latentes ? Déboulonner pour déboulonner n'aurait aucun sens. Il ne s'agit pas de faire du mimétisme. Le débat est passionné, mais une réflexion est nécessaire. Ce sont aussi des repères de notre Histoire, on ne peut pas le rejeter », souligne-t-elle.Se mettre face à l'Histoire
Pour le maire de Saint-Louis, Mansour Faye, « la priorité est de conserver l'Histoire et de développer la ville, pas d'épiloguer sur des débats sans intérêts », a-t-il déclaré lors d'une cérémonie, insistant sur l'importance « d'assumer notre responsabilité et notre héritage colonial ». « Beaucoup de pays africains n'ont pas remis en question leur propre Histoire, notamment les régimes néocoloniaux qui n'ont pas voulu s'engager dans cette voie. L'écriture d'une Histoire commune, multiculturelle qui revisite le patrimoine commun est essentielle. Ceci est fondamental d'autant plus que les liens, et donc une mémoire partagée, entre les pays colonisateurs et les ex-colonies sont réels.La diaspora concernée
La forte diaspora africaine est marquée par ce silence sur des pans de son Histoire et se retrouve à lutter contre la stigmatisation qu'elle subit, fruit de cette histoire partielle », expose Doudou Diène. Des historiens reconnus, philosophes, membres de la société civile, certains religieux également, continuent de réclamer le déboulonnage de la statue, actuellement conservée dans un musée durant la durée des travaux de la place Faidherbe. Thierno Dicko a déjà prévenu : « Si la statue retrouve son emplacement, elle finira dans le fleuve ! »Quelle est votre réaction ?
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