RFI : À la sortie du sommet du G5 Sahel de Ndjamena, Emmanuel Macron a parlé d’un « alignement politique et militaire », notamment pour justifier le maintien en l’état de la force Barkhane. Que voulait-il dire par là ?
Niagalé Bagayoko : Quand on écoute la déclaration d’Emmanuel Macron, mais aussi quand on lit le communiqué final, je trouve qu’on arrive, en effet, à une position qui apparaît cohérente et qui est surprenante par rapport aux différentes perspectives, aux différentes positions qui avaient été exprimées par les différents États membres du G5 Sahel et par la France, avant la tenue du sommet.
Justement, le président français évoquait, lors de ses vœux 2021, aux armées, un ajustement des effectifs militaires. Aujourd’hui, il change d’avis et maintient en place les quelque 5 000 soldats. Pourquoi ?
C’est une réponse à la volonté de coller aux préoccupations de politique intérieure. Il est très difficile de se mettre sur une posture de retrait, lorsque l’on affirme, comme cela a été fait de manière très déterminée par les autorités françaises, qu’on est dans une posture de succès. Donc je pense qu’il y a cette pression-là. Et que certains États membres du G5 souhaitaient également la prolongation de la présence militaire française et que les décisions prises sont le résultat de cet alignement, en effet.
Autre sujet de discussion : l’envoi d’un bataillon tchadien dans la zone sensible dite des Trois frontières. Attendu depuis trois ans, Idriss Déby l’a finalement annoncé pendant le sommet. Qu’est-ce qu’il s’est joué à ce sujet ?
On voit que les relations entre le Tchad et la France sont sensibles, pour dire le moins. Le Tchad entre dans une période électorale, donc dans ce contexte, je ne serais pas étonnée qu’il y ait eu un accord pour le moins tacite, pour que les partenaires extérieurs et notamment la France, ne s’immiscent pas dans le processus électoral en cours, en échange du déploiement de ces forces tchadiennes, dont on sait qu’elles sont très efficaces sur le terrain. Il ne faut pas oublier, cependant, la raison qui avait été avancée pour le déploiement repoussé une nouvelle fois en 2020. C’est que le Tchad avait dû faire face à une attaque majeure dans la région du lac Tchad. Donc il n’est pas exclu que le Tchad, qui a de multiples engagements, y compris à la frontière soudanaise et sur ce front du lac Tchad, doive aussi revoir ses engagements à la baisse.
Certaines voix s’étaient fait entendre pour demander un dialogue avec ces groupes armés jihadistes. Mais aujourd’hui, la voie militaire semble bel et bien confirmée, avec la volonté de décapiter -selon les mots d’Emmanuel Macron- les groupes liés à al-Qaïda, c’est-à-dire, viser en priorité les leaders de ces groupes. Cette stratégie est-elle la bonne, selon vous ?
Ce débat autour des négociations semble avoir été résolu avec un accord consistant à se concentrer uniquement sur la lutte contre le leadership des mouvements liés à Al-Qaïda avec Amadou Koufa, mais on voit que rien n’exclut, en réalité, la poursuite des négociations avec des échelons inférieurs. Je pense qu’il y a, du côté des dirigeants sahéliens et français, le sentiment que ces annonces récurrentes de neutralisation de jihadistes, sans que l’on sache, d’une part, exactement combien d’éléments ont été éliminés, ni qui, exactement, a été neutralisé. Cela pose un problème, en termes de communication. Donc je pense qu’à la suite de l’intervention de Bernard Emié, le directeur du DGSE, on a une volonté d’incarner le combat contre le terrorisme, en désignant très clairement des adversaires que l’on veut éliminer. Je pense qu’il y a vraiment cette stratégie d’incarnation. C’est un élément très important. Par ailleurs, je pense que la réaction de l’ennemi combattu va certainement être assez virulente. On a vu qu’il y a des moyens mobilisés par les groupes armés jihadistes et particulièrement par le GSIM (Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans). Je pense qu’il faut s’attendre à une hausse des attaques, parce qu’on est quand même dans une déclaration de guerre assez frontale, en réalité.