Tombouctou, patrimoine mondial aux mains des islamistes ?

Avr 4, 2012 - 13:52
Avr 4, 2012 - 15:21
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L'Unesco redoute les pillages. Sur place, le directeur de la bibliothèque Mamma Haïdara se montre pour l'instant rassurant. [caption id="attachment_58640" align="aligncenter" width="611" caption="La plus grande partie des manuscrits tombouctiens appartiennent à des bibliothèques privées. © Catherine et Bernard Desjeux"][/caption] Tombouctou, aux portes du désert, est une cité historique sur le plan culturel, inscrite au patrimoine mondial de l'humanité. Ses mosquées, son architecture et surtout ses manuscrits anciens témoignant de l'âge d'or de l'université de Sankoré préoccupent l'Unesco, qui redoute pillages et trafics. Quelque 200 000 manuscrits conservés y constituent la mémoire d'un âge d'or de Tombouctou, situé entre les XVe et XVIe siècles de notre ère. Sous le règne des empereurs de la dynastie songhaï (entre 1468 et 1591), la cité n'est plus seulement celle du commerce de l'or, du sel et des esclaves. Autour de ladite "université de Sankoré", elle devient celle du savoir, l'un des plus importants foyers de culture islamique. D'érudits voyageurs venus d'Égypte, de tout le Maghreb et d'Andalousie échangent à Tombouctou avec les savants locaux qui, eux-mêmes, voyagent à l'étranger. Cette circulation du savoir est attestée par celle des manuscrits copiés et recopiés, écrits en arabe, langue savante d'une Afrique subsaharienne qui a connu une première phase d'islamisation sous la dynastie marocaine des Almoravides (autour de l'an 1000).

Conservation

Beaucoup plus tard, certains manuscrits, dits ajamis, utiliseront l'alphabet et la graphie arabes comme outils de transcription des langues de la région, le peul, le songhaï et le bambara. On y trouve aussi bien des textes sur l'histoire, la pédagogie - qui implique alors la grammaire -, les commentaires du Coran, l'apprentissage de la langue arabe et le droit, nécessairement musulman. Enfin, les écrits de dévotion pullulent. L'un des plus éminents professeurs de l'époque, Ahmed Baba (1556-1627), issu d'une grande famille de gouverneurs de Tombouctou, a donné son nom à l'Institut de restauration et de conservation. Conscients de l'importance du patrimoine culturel et religieux que représentaient leurs livres, les gens de Tombouctou ont en effet, malgré les vicissitudes de l'histoire et les conditions climatiques, conservé les manuscrits. Ces trésors patrimoniaux ne sont pris en compte qu'après l'indépendance du Mali, dans les années 1960, avec l'aide de l'Unesco. En 1973 est créée la seule institution publique de la ville, l'Institut des hautes études et de recherches islamiques Ahmed Baba, avec pour missions de collecter, cataloguer et numériser les 25 000 livres et manuscrits, dont des chefs-d'oeuvre enluminés qui ont continué de s'écrire et de s'échanger au fil d'une tradition lettrée restée vive jusqu'au XIXe siècle. Les bibliothèques privées, une trentaine, faisaient aussi l'attraction touristique de la ville jusqu'à ce que la situation au nord du pays et la menace terroriste ne vident peu à peu ces dernières années la cité mythique de ses touristes...

Incertitude

Aujourd'hui, Tombouctou est aux mains des islamistes. Abdel Kader Haïdara, qui a ouvert la bibliothèque Mamma Haïdara à partir des archives de ses ancêtres et dirige l'ONG malienne Savama-dci (sauvegarde et valorisation des manuscrits pour la défense de la culture islamique), se montre rassurant au téléphone: "Jusqu'à présent, il n'y a pas eu de dégâts, ni dans les bibliothèques, ni à l'Institut Ahmed Baba de la ville, qui conserve et restaure les manuscrits. Nous n'avons pas eu de provocations." Alors que de nombreux habitants de Tombouctou cherchent à rejoindre Bamako, par crainte d'un racisme naissant envers les populations noires d'origine bambara, songhaï ou peule, le directeur de la bibliothèque explique que le calme est revenu depuis lundi dans sa ville, au contraire des violences commises à Gao. Mais demain ? "Vous savez, nous étions là tranquillement, puis l'armée malienne a commencé par quitter la ville et les rebelles sont arrivés. Le problème, c'est que nous ne savons pas vraiment ce qui se passe, et encore moins ce que demain nous réserve."   Par VALÉRIE MARIN LA MESLÉE Le Point.fr - Publié le 04/04/2012 à 20:56

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