Après les curieux et absurdes événements au Mali, il est temps que nous, autres observateurs, nous tentons de tirer les premières leçons de ce désastre. J’observe ce pays depuis quelque temps. Je ne connais ni le Président ATT encore moins ses amis. En tant que dame, j’étais plutôt prudente. Je sais aussi que les brillants historiens maliens s’occuperont, bien sûr, le moment venu, de ce fourvoiement. Mais, le devoir des historiens n’exclut en rien le rétablissement de la vérité.
La
vérité est, d’abord et avant tout, des
faits. On croyait le Mali à l’
abri d’une
quelconque accession au
pouvoir sans l’onction du suffrage universel, mode d’élection du Président de la République depuis la Constitution du 25 février 1992. Malgré, ses lacunes le
système démocratique malien aura été stable, vingt années durant. Le Mali était un
modèle en la matière. Le Président Touré devrait rendre le pouvoir à celui que les maliens auront choisi librement, au sortir d’une campagne animée, à l’issue incertaine.
Le
Président sortant commençait à être qualifié de tous les
noms d’oiseaux. C’est malheureusement le
lot des
sortants, de
tous les sortants. Le dévolu doit être jeté sur le futur nouveau prince. Les Maliens n’échappent pas à cette règle. Je suis persuadée que le Président Touré en était conscient. Il avait les
pieds sur terre. Il mesurait et, c’est à son honneur, la
vanité des choses.
Cependant depuis quelques mois, on savait que le
paisible cheminement du Mali commençait à
vaciller. Des
facteurs exogènes infusaient les
germes des
turbulences futures :
Aqmi bien sûr. Mais
pas seulement. Des pays voisins
censés coopérer recevaient,
au vu et
au su de tous, les
mouvements Touareg porteurs des revendications cycliques d’une partie des populations du nord du Mali.
Nouakchott en regorgeait. Le
protocole d’Etat mauritanien organisait leurs rendez-vous avec la
chaîne Al Jazzera. Et, depuis la chute de la dictature en Libye un autre facteur s’ajouta aux autres
schismes éruptifs : la présence dans le nord de la région sahélienne de
groupes aguerris, lourdement armés dont certains faisaient partie intégrante des
troupes d’élite du Tyran libyen. Rappelons-nous, à l’époque, le
recrutement, à tour de bras, des
colonnes ininterrompues de mercenaires sub sahariens. C’est cela même le
centre de
gravité du
naufrage dont on parle peu : laisser des arsenaux militaires à ciel ouvert dans un pays dirigé par un gouvernement fantôme ne pouvait qu’être source de
déstabilisation généralisée. En son temps, le Gouvernement du Mali a fait part de ses
inquiétudes relativement aux conséquences incalculables de la non maitrise des changements dans la Libye qui risquerait de transformer ce territoire tribalisé en une véritable poudrière. L’histoire lui a donné malheureusement raison. Le gouvernement du Mali comme de nombreux observateurs savaient que quoiqu’il arrive les
implications sécuritaires d’un tel réajustement géostratégique brutal post Kadhafi seraient
tragiques.
En effet, le Mali avait-il les
moyens de
soutenir une
guerre dans la
durée ? Bien sûr que
non.
Or, le pays s’est retrouvé
seul face à aux
revendications cycliques des
Touareg et aux contre
coups dévastateurs de l’intervention incontrôlée en Libye. Les pays voisins et notamment l’
Algérie en
bloquant le
fonctionnement des structures communes notamment le fameux Commandement Commun aura contribué à la paralysie du Mali. Elle a même poussé le
cynisme loin en s’opposant à toute implication de la France tout en refusant de mettre à disposition les moyens nécessaires à une
lutte fondamentalement collective.
Au total, tout était contre le Mali : le
cynisme et
la malhonnêteté des pays voisins, les
armements massifs incontrôlés en
Libye et la
stratégie commune (au moins à court terme) entreTouareg et
Aqmi.
Revenons maintenant aux faits. Le Président Touré
esseulé ne pouvait plus compter que sur les
ressources du mali
insuffisantes et
aléatoires et, si possible,
l’hypothétique solidarité de la
CEDEAO.
Toute personne conviendrait que ces deux leviers ont leurs limites. Les ressources financières du Mali sont insuffisantes pour soutenir un effort massif et soutenu d’une guerre à laquelle le pays était mal préparé. Les forces armées et de sécurité du Mali avaient la capacité de résister. Mais sans munition aucune armée au monde ne saurait résister. Depuis le début des hostilités et dans l’attente d’une hypothétique aide de la CEDEAO, toutes les ressources du trésor servaient à payer les salaires et à entretenir et à consolider l’endiguement des mutins et leurs alliés à l’extrême nord. C’est un exploit si on prend en compte l’extrême limite des ressources financières du pays. Préserver les régions de Kidal, de Gao et de Tombouctou était nécessaire pour le présent et le futur. Le présent d’abord. Cantonner les assaillants à Tessalit permettait de sécuriser l’essentiel du territoire et de se réarmer pour une guerre longue. Le futur enfin. Déloger des groupes disséminés dans les villes ne peut se faire qu’au prix du sang de part et d’autre et, au final, au prix politique fort. C’est à cette aune qu’il faut juger le coup de force.
C’est pourquoi je considère que l’action du capitaine Sanogo et sa clique est à la fois irréfléchie, irresponsable et absurde. La clique disait redresser la démocratie et sauver le pays. C’est à la fois grotesque et mensonger. L’aventure a non seulement tué la démocratie malienne citée en modèle mais elle a favorisé et accéléré l’occupation de toutes les régions du nord soit près des deux tiers du pays. Voilà le désastre.
En effet, jusqu’au jour du putsch, les rebelles et leurs alliés étaient cantonnés au nord. Depuis des mois, ils harcelaient bien sûr plus au sud sans pouvoir s’installer nulle part. Le projet d’appui actuel de la CEDEAO était en cours de préparation. Cette clique irresponsable va rendre le pays dans la pire des postures qu’il n’ait jamais connu. C’est avec le temps que les honnêtes citoyens maliens se rendront compte de l’ampleur de la tragédie.
Comme tous les putschistes ceux du Mali n’ont pas tardé à assener la
ritournelle favorite de tous les
militaires hors la loi : nous sommes venus sauver le pays. L’Etat du Mali ne se portait pas si mal au regard de sa progression économique et de la bonne santé de sa démocratie. Il est vrai que le Président n’est ni un tyran ni un sanguinaire. Il pouvait se maintenir en faisant couler les flots de sang en opposant forces loyalistes aux mutins. Tout le monde savait que jusqu’au 21 et 22 mars, le Mali était un Etat de Droit. Un Président démocratiquement élu a des comptes à rendre sur la mort des citoyens soldats ou pas. Il pouvait s’octroyer des pouvoirs illimités et jouer au ZORRO du Sahel. Mais il savait, je le crois, ses moyens financiers limités. Il aurait fracassé le pays en mille morceaux. Mais en fait, à chaque fois que des militaires incompétents sont au dos au mur ils renversent la table. Ils tentent de jouer aux héros. Etre héros c’est aller se battre au nord et non prendre en otage un pays, un territoire comme le font les FARC dans les forêts colombiennes. Un militaire ne respectant pas la règle de droit se différencie peu ou pas du tout d’un narcotrafiquant. Qu’est-ce qu’une personne peut faire face à une personne lourdement armée ? Se suicider ou se rendre. Le suicide, en l’occurrence, aurait été collectif comme c’est le cas au sortir du putsch. Un observateur disait sur France 24 la junte
« a bouclé la boucle de l’absurde ».
Il est temps d’éviter de trouver des sauf-conduits à des imposteurs, à des hors la loi et aux mutins. C’est là où la classe politique malienne a fait de preuve de cynisme, d’irresponsabilité et d’infantilisation. Les candidats déclarés ou pas allaient concourir conformément au droit malien pour prendre la place d’un Président légitime. Comment comprendre que cette classe où on retrouve des hommes de valeur ait pu accepter une seconde de rencontrer, de chercher des accointances et de composer avec ceux-là même qui ont assassiné le ressort le plus précieux du Mali : la Démocratie. Les contradictions, les positions confuses et les volte faces l’ont outrageusement abîmée. L’attitude des uns et des autres aura montré à quel point en Afrique on peut être à la fois léger et sans foi ni loi. A quoi bon d’être élu si un obscur militaire peut spolier la légitimité populaire ? Autant chercher une milice et aller à la conquête du pouvoir. Ca aura eu une gueule certes abjecte, mais la gueule quand même de la cohérence. Disons désormais non et définitivement non aux imposteurs. Le fougueux IBK a plié l’échine. Le Président Alpha, grand donneur de leçon à la terre entière, s’est tu. Son mutisme assourdissant a surpris plus d’un. A toute chose malheur est bon : les prochaines élections doivent être l’occasion de bouter dehors ceux qui prétendaient présider aux destinées du Mali. Ils ont faibli, failli et même trahi l’idéal démocratique. Ils ont contribué d’une manière ou d’une autre à l’assassinat de la démocratie malienne dont ils sont la plupart les produits. Comment accepter qu’un imposteur parade au Mali après l’avoir assassiné sans que personne ne bouge le petit doigt ? Comment accepter que les recettes du trésor soient versées au camp militaire de Kati ? Démocrates ou simili démocrates maliens réveillez-vous !
Cette condamnation vaut pour la France et notamment le Quai d’Orsay. En écoutant outre les médias français, les responsables français prêts à bondir en Libye et en Syrie, on mesure avec quel mépris on traite les pays pauvres d’Afrique noire. Le mépris affiché et même revendiqué à l’égard du Mali n’a d’égal que l’abject cynisme de l’Algérie voisine. Qu’on ne vienne pas dire aux Maliens au territoire devenu ruiniforme, aux femmes violées, aux administrations saccagées, faites attention et respecter les droits des autres. Non c’est une supercherie abjecte et cynique. Monsieur A. Juppé a déçu. La déception est d’autant plus grande que le gouvernement du Mali a expliqué les limites de son action en l’absence d’appui financier et logistique.
Au final, tout est absurde. On traitera le Président Touré adulé hier, honni aujourd’hui, de tous les maux. Un jour ou l’autre, l’histoire rendra son verdict. L’amertume légitime du peuple ne saurait masquer les faits et annihiler l’analyse froide. Le sinistre Capitaine peut vociférer et jouer au rédempteur. Les faits de son aventure grotesque sont là, têtus. Lesquels ?
- Une démocratie exemplaire assassinée et abîmée ;
- Une paralysie sans précèdent des institutions maliennes ;
- Un retour spectaculaire aux traditions putschistes de l’armée malienne ;
- Un territoire ruiniforme et aux deux tiers occupés ;
- Un lot inextricable de contre coups humains (viols, assassinats, saccages) ;
- Une alliance suspecte avec les ennemis du pays qui n’ont pas tardé à s’exprimer ;
- Un prix politique fort à payer demain aux rebelles.
Voilà les sinistres faits d’armes de SANOGO et sa clique. Personne ne sait comment va évoluer la situation du pays au cours de prochains mois. L’abîme cauchemardesque dans lequel cette junte a plongé le pays marquera pour longtemps l’histoire du pays. Ces stigmates pointent à l’horizon dont la plus notoire est l’incertitude des lendemains. Et, ce n’est pas un retour biaisé à l’ordre constitutionnel qui changera les choses. Le départ du Président était acté, inscrit dans la constitution et dans le déroulement normal des choses. Son départ allait se faire mais avec les dégâts sus évoqués en moins. La CEDEAO a démissionné aux portes du succès qu’on en attendait. Elle a baissé les bras. L’icône démocratique faisait de l’ombre en Afrique de l’Ouest. Le Président par Intérim risquerait de sombrer et le pays avec. L’amnistie promise est un appel d’air aux actes de tous les hors la loi de l’Afrique de l’Ouest. Ils savent désormais qu’ils s’en sortiront quoiqu’il arrive. Je crois que cet attelage baroque ne conduira ni à la reconstruction de l’ordre démocratique ni à la paix. L’incertain sera le lot quotidien malien pour une période relativement longue.
Irène Coulibaly