L'ancien aide de camp d'ATT et chef des parachutistes de Djicoroni, le colonel Guindo, a voulu venger une série de frustrations personnelles et n'a échoué que par un malheureux concours de circonstances. Récit exclusif d'une offensive sanglante.
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Si l'affaire n'avait pas été si dramatique, on en aurait ri. Au moment où le pays est aux deux tiers occupés par des rebelles indépendantistes et islamistes et que les Maliens comptent sur leur armée pour laver leur honneur terni, voilà les différents corps militaires qui s'entretuent. Comment en est-on arrivé là ?
Tout commence le 21 mars, jour du coup d'Etat conduit par la troupe de Kati contre le président ATT. L'opération n'ayant été ni préméditée ni planifiée, les commandos parachutistes, qui forment la garde présidentielle, n'y ont pas été associés. Première frustration de ce corps d'élite de l'armée dirigé, depuis le camp de Djicoroni, par l'ancien aide de camp et homme de confiance d'ATT: le colonel Abidine Guindo.
Quelques heures après le renversement d'ATT, la toute nouvelle junte du capitaine Sanogo, qui se méfie des "bérets rouges" réputés proches d'ATT, décide de débarrasser le camp de Djicoroni de son arsenal de guerre. C'est ainsi qu'une équipe du capitaine Sanogo se rend dans cette base et ramasse les quelques engins blindés (BRDM, BTR, chars) et armes lourdes qui y stationnent. Le tout est emporté à Kati, siège des "bérets verts" du capitaine Sanogo. Deuxième frustration du colonel Abidine Guindo.
Ce dernier, qui a réussi, le 22 mars, à exfiltrer ATT du palais puis a supervisé son exil à Dakar, reste sur ses gardes. Il sait qu'on ne l'aime pas beaucoup à Kati et qu'on se méfie de lui. Il envoie son adjoint, le colonel Louis Somoro, parlementer avec la junte et convaincre celle-ci de réintégrer les "bérets rouges" dans la marche de l'armée, au lieu de les tenir à l'écart de tout. L'entente est en passe d'aboutir mais hélas, en sortant de Kati, le colonel Somoro est pris à parti par un soldat indiscipliné qui lui donne même une gifle. Troisième frustration du colonel Abidine Guindo qui y voit un avant-goût de ce qui l'attend si jamais la junte met la main sur lui.
Or donc, dimanche 29 avril, le colonel Guindo - c'est du moins ce qu'il a rapporté à ses soldats - est convoqué à Kati pour une rencontre avec le capitaine Sanogo. Croyant qu'il ne reviendrait ni libre ni vivant de cette rencontre, il refuse de répondre à la convocation. Selon des sources, il aurait fait dire au capitaine Sanogo qu'en tant que colonel, il n'avait pas à être convoqué par un simple capitaine. Après quoi, le colonel Guindo, se sentant en danger, sonne l'alerte au camp de Djicoroni. Tous les "bérets rouges" du camp se mettent sur le pied de guerre. Leur chef leur assure qu'une colonne en provenance de Kati s'apprête à écraser le camp et qu'en cas de victoire, le capitaine Sanogo a resolu de liquider le corps des "bérets rouges". Vérité ou intox ? Les soldats n'ont pas le temps d'y réfléchir puisqu'ils reçoivent l'ordre de prendre d'assaut des lieux stratégiques comme l'ORTM, l'aéroport de Sénou et d'encercler la base militaire de Kati, fief du CNRDRE. Des émissaires envoyés par le capitaine Sanogo pour calmer les ardeurs des "bérets rouges" n'y changent rien. L'affrontement est inévitable.
Il est 17 heures ce lundi 1er mai lorsque les "bérets rouges" se déploient dans la ville de Bamako. Sans coup férir, ils s'emparent des locaux de l'ORTM, tuant les "bérets verts" qui gardent les lieux. Leur action est facilitée par le fait que la garde de l'ORTM a été allégée depuis l'investiture de Dioncounda Traoré comme président de la République par intérim. La deuxième équipe des "bérets rouges" lance l'assaut sur l'aéroport de Sénou où la panique s'installe. Des éléments couvrent les assaillants de toute contre-attaque de Kati en coupant le pont Fahd et celui des martyrs. Une troisième colonne de "bérets rouges", montée à bord d'une dizaine de véhicules tout terrain, se rend à Kati et se déploie autour de la garnison, neutralisant au passage des sentinelles armées. C'est là que les choses se gâtent.
En effet, au niveau de Kati, les hommes du colonel Guindo devaient, selon les plans, recevoir des renforts issus de traîtres à la cause de Sanogo. Ils devaient aussi être rejoints par les "bérets rouges" stationnés à la base de Koulouba, au rond-point de l'hôpital du Point G. Ce mouvement de ralliement devait entraîner celle d'autres corps de l'armée, notamment la garde nationale et la gendarmerie. Ces beaux plans tombèrent à l'eau. Les "bérets rouges" ne reçurent aucun renfort. Leurs camarades "bérets rouges" de la base de Koulouba entrèrent même en action contre eux, leur livrant un combat sanglant à l'aéroport de Sénou. Aucun corps de l'armée ne se résolut à se désolidariser du capitaine Sanogo. Ce que voyant, le colonel Guindo donne ordre à ses soldats de se replier tous au camp de Djicoroni d'où ils étaient partis: Guindo a compris que son offensive n'avait plus de chances de prospérer et qu'il était plus facile à ses hommes de se défendre au camp que de poursuivre un assaut désespéré. En se repliant, des "bérets rouges" sont repérés par les policiers du Groupement mobile de sécurité et abattus.
De retour au camp vers 22 heures, et après avoir abandonné leurs positions et conquêtes, les "bérets rouges" ruminent leur déception. Pas pour longtemps. A Kati, les soldats de Sanogo, ragaillardis par le repli des "bérets rouges" font, le lendemain, rouler leurs blindés vers le camp de Djicoroni. Les "bérets rouges", de peur de mettre la vie de leurs familles en danger, se dispersent; le camp est occupé sans combat par les "bérets verts" du CNRDRE. Une chasse à l'homme s'engage alors. Le capitaine Sanogo sait, en effet, tout le danger de laisser dans la nature un demi-millier de commandos parachutistes avec leurs armes. Surtout qu'ils peuvent, à tout moment, être recrutés par des politiciens malveillants, voire par la CEDEAO dont la junte craint un débarquement surprise des troupes. Le meilleur scénario serait que les "bérets rouges" en vadrouille forment des gangs criminels qui s'en prendraient aux populations et à leurs biens. Il faut absolument mettre la main sur chaque "béret rouge", mort ou vif. Un communiqué est lancé sur les ondes, invitant tous les "bérets rouges" à se faire enregistrer, avec leurs armes, à la brigade territoriale de gendarmerie de Bamako-Coura (près de la prison centrale) ou à la brigade de gendarmerie la plus proche.
La traque s'avère d'autant plus minutieuse que le capitaine Sanogo soupçonne des mercenaires étrangers et des bailleurs de fonds occultes d'être mêlés à l'attaque. Des patrouilles mènent la chasse, y compris de nuit, n'hésitant pas à fouiller de fond en comble les maisons suspectes et à tirer sur les véhicules qui n'obtempèrent pas aux ordres. Un magistrat en fera d'ailleurs les frais: alors qu'il roulait de nuit vers le rond-point Kwamé Nkrumah, à Hamdallaye ACI 2000, il est tombé sur une patrouille militaire; des éléments de la patrouille lui intimaient de s'arrêter, d'autres de continuer sa route. Quelque peu éméché après une soirée fort bien arrosée, le magistrat a cru bon de foncer et s'est retrouvé avec un véhicule criblé de balles. Lui-même en réchappa de justesse... En tout cas, l'affrontement fratricide entre soldats maliens a fait des dizaines de victimes, très loin du chiffre officiel de 27 morts.
Selon nos sources, le plan du colonel Guindo (introuvable depuis les événements) était de vaincre la junte sans remettre en cause le pouvoir du président par intérim Dioncounda Traoré. Il aurait gagné du prestige dans l'opération et aurait obtenu le retour d'exil de son ex-patron et bienfaiteur, ATT. Au demeurant, pendant toute l'offensive, la sécurité du président par intérim, confiée traditionnellement aux "bérets rouges" avait été considérablement renforcée. Ses adversaires pensent, au contraire, qu'en cas de succès, le colonel Guindo aurait réinstallé ATT au pouvoir, ce qui équivaudrait à un nouveau coup d'Etat, ATT ayant démissionné officiellement de ses fonctions.
A présent, ce qu'il faut craindre, c'est une inimitié durable de l'armée entre "bérets verts" triomphants et "bérets rouges" amers. Le danger est d'autant plus grand que le corps d'élite de l'armée que représentent les "bérets rouges" a subi une double humiliation: le putsch du 22 mars a été mené par les "bérets verts" sous son nez et ses troupes ont été défaites par les "bérets verts" le 2 mai. Or les "bérets rouges" sont de fiers combattants dont l'entraînement, le prestige et la proximité avec les pouvoirs successifs les ont amenés à se considérer comme supérieurs aux "bérets verts". De plus, il sera difficile de reconquérir le nord occupé du Ma li sans le concours des "bérets rouges". Ils sont les seuls, dans l'armée, à avoir subi les techniques de combat nécessaires pour chasser l'ennemi au cas où il s'infiltrerait dans la population. "
Pendant 3 ans, nous avons subi une formation commando spéciale avec des officiers de Corée du Sud, nous a confié un "bé
ret rouge";
nous avons notamment été formés au "combat de log" qui consiste à neutraliser l'ennemi sans bruit ni dégâts collatéraux; en outre, nous sommes le principal corps de parachutistes susceptibles de couper la route à des colonnes rebelles qui s'enfuiraient sous le feu de l'aviation.". Sans fraternité d'armes ni complémentarité entre les corps de l'armée, comment vaincre des rebelles extrêmement bien organisés et motivés ? Va-t-on prendre encore de longues années pour former de nouveaux "bérets rouges" aussi aguerris que les actuels en déshérence ? Le temps nous dira. En attendant, les rebelles se frottent les mains. Ils savent que l'offensive générale pour les déloger n'est pas pour demain. D'autant que le capitaine Sanogo a fait reporter aux calendes grecques toute venue au Mali des forces de la CEDEAO.
Tiékorobani