Interview du capitaine Amadou Aya Sanogo, président du CNRDR : «Je promets que le pouvoir sera remis aux mains des civils dans le plus bref délai»

Mar 26, 2012 - 19:25
Mar 26, 2012 - 19:28
 0  160
Le capitaine Amadou Sanogo, président du Cnrdr qui vient de s’emparer du pouvoir après le coup d’Etat dans la nuit du mercredi 21 au jeudi 22 mars 2012, est prêt à rabattre le caquet à ceux qui veulent faire comprendre à l’opinion nationale et internationale que ce coup de force est malvenu. Sans détour, il expose les motivations qui ont conduit à cette prise de pouvoir et se veut rassurant quant à la protection des personnes et de leurs biens. Profitant de cet entretien, il égrène un long chapelet de griefs contre le régime déchu.  Dans Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ? Je suis un ancien élève du Prytanée militaire de Kati. Comme je n’ai pas pu terminer le cycle, j’ai été admis au Certificat d’aptitude technique 1 et 2 (Cat 1 et 2) pour être caporal puis sergent. Après, j’ai participé à une formation de cours de carrière avec l’unité spéciale des Marines aux Etats-Unis d’Amérique. Ensuite, je suis reparti à Fort Benning en Géorgie pour faire l’Ecole d’application en infanterie où j’ai également pris des cours d’anglais. Quelques années après avoir été promu au grade de sous-lieutenant, je suis reparti à Fort-Wachica en Arizona pour être formé comme officier de cellule de renseignements. Deux ans plus tard, j’ai été nommé lieutenant plein. J’ai participé à plusieurs formations en tant qu’instructeur. J’ai été formateur à l’Ecole militaire interarmes durant quatre années au cours desquelles j’ai enseigné beaucoup de spécialités. J’ai aussi suivi beaucoup de formations organisées par les Etas-Unis, celle sur la lutte internationale contre le terrorisme au Maroc; l’Initiative africaine de réponse aux crises (Acri), phases I, II, III et IV et la formation de Contingent africain pour l’assistance et la formation (Acota). Le capitaine Sanogo est marié et père de trois filles.  Est-ce que l’idée vous est venue de faire, un jour, un coup d’état ? L’idée ne m’est jamais venue. Mais, comme tout officier conscient, nous étions à un moment où la situation était devenue très critique dans le pays.  Quel était votre motivation en prenant le pouvoir ? Je rends, tout d’abord, hommage à ces sous-officiers et soldats qui m’entourent. L’initiative est venue d’eux. Suite à des requêtes et demandes non satisfaites, la rencontre de ces hommes avec le ministre de la Défense a mal tourné, et ils ont pris des armes et des munitions pour se défendre. Le dialogue n’étant plus possible, il fallait faire entendre la voix des armes. Quand un militaire veut se faire entendre par la voix des armes, personne ne peut imaginer la portée. Je me suis dit, avec quelques collègues, pourquoi ne pas profiter de la situation et ne pas laisser ces hommes seuls agir, parce que trop c’est trop. C’est ce qui nous a conduits à ce coup de force.  Pouvez-vous nous faire part de  ces requêtes ? Les requêtes ne sont pas venues de moi, mais surtout des sous-officiers et soldats. Quelques fois, la troupe se réunit avec le commandement. Les requêtes portaient généralement sur la non information par rapport à la crise du nord. Les militaires meurent et les attaques continuent, mais personne n’est informé à temps réel. Plus grave, les militaires sont informés par d’autres sources comme le téléphone. C’était devenu de la désinformation et les gens racontaient du n’importe quoi. Souvent c’est réel, souvent ça ne l’est pas. En plus, les troupes confrontées à l’ennemi n’ont pas souvent de secours. Ce qui est un constamment réel. Plus grave, nos hommes ne recevaient pas le matériel dont ils devaient disposer pour faire leur travail. Le ras-le-bol les a poussés à agir car ils étaient arrivés à un niveau où ils ne voulaient plus écouter personne. C’est cette situation qui a dégénéré avec la récente visite du ministre de la Défense, le Général Sadio Gassama, accompagné de son staff. La situation étant favorable, les jeunes m’ont lancé un appel pour que je vienne m’associer au mouvement. Ils m’ont fait confiance et je crois que ça y est.  Qu’est-ce qui a motivé votre choix ? Ma troupe a la réponse. Ils sont les seuls à vous répondre.  Après la prise du pouvoir, qu’allez-vous en faire ? C’est très simple. Nous ne sommes pas venus nous éterniser. Nous sommes venus pour la reforme et la restauration de l’Etat. C’est ce qui est capital pour nous. Certes, les militaires se sont levés pour en arriver là, mais vous conviendrez avec moi que ça n’allait à aucun niveau de la chaîne de l’Etat. Il y a le problème de l’éducation car cela fait dix ans qu’il n’y a pas d’école, le recrutement au niveau de la fonction publique où il faut mettre la main à la poche pour être admis. Il y a  un vrai malaise social. Les civils se lèvent pour réclamer, mais c’est différent du cas de l’armée. Nous, on se lève avec quelque chose dont le civil ne dispose pas (ndlr : les armes).  En vous écoutant, la situation au nord du Mali n’est pas la seule raison de votre prise de pouvoir ? Pour nous, militaires, cette question occupe 70% de nos préoccupations. Mais, la cherté de la vie aussi nous touche en tant que citoyen. Le fait qu’il n’y a pas d’école touche nos enfants; le manque d’emploi touche nos familles (frères, sœurs, femmes). Il faut que les Maliens et les Maliennes soient rassurés. Encore une fois, nous ne sommes pas venus nous éterniser au pouvoir, encore moins, faire ce que nos prédécesseurs ont eu à faire. Sans quoi, on n’aurait pas dû amener un changement. Nous sommes venus d’abord exiger des conditions de vie descentes pour les Maliens et tout ce qui peut concourir à la bonne marche d’une armée digne, professionnelle et efficiente. Une fois que chaque soldat, à quelque niveau que ce soit, sait qu’il est nourri, logé, entretenu, soigné et pris en charge, au besoin, avec une formation de qualité, nous aurons donc un soldat de qualité, avec un résultat positif.  Quelle garantie donnez-vous aux Maliens quant au retour du pouvoir aux civils ? Je veux vous dire des mots qui qualifient ma personne. Honnête, sincère et je sais ce que je veux. Je n’ai même pas besoin du pouvoir à fortiori y revenir. Je promets que le pouvoir sera remis aux mains des civils dans le plus bref délai. Cela peut dépendre de la structure qui sera mie en place et qui sera un acquis pour le Mali et pour le soldat que je dois redevenir. Une fois de plus, je répète que je n’ai pas l’intention de m’éterniser. Est-ce que vous êtes en contact avec la classe politique ? Nous sommes obligés de travailler avec l’ensemble de la classe politique afin que les choses se normalisent. Nous avons échangé avec beaucoup d’entre eux et sous peu, un comité sera en place. Il sera constitué des représentants de toutes les forces vives de la nation, sans exception. Qu’allez-vous mettre en œuvre pour endiguer la rébellion au nord du Mali ? La sécurité au nord du pays demeure notre préoccupation majeure et je ne veux pas me permettre de me prononcer sur les stratégies mises en place. Nous sommes dans un Etat conflictuel et nous allons trouver les personnes ressources et les moyens nécessaires pour lutter contre ce fléau. Le but n°1 de notre mission est le retour de la paix au Mali parce que le Mali est un et indivisible.  Est-ce que, selon vous, la situation est irréversible. Etes-vous en sécurité ? Je voudrais vous dire quelque chose. Même en dormant avec sa propre femme, la sécurité à 100% n’existe pas.  Quelle assurance donnez-vous aux Maliens quant à la sécurisation des personnes et leurs biens ? Au lendemain de la prise du palais de Koulouba, la première mission que j’ai eu à confier aux forces de la garde nationale, de la police et de la gendarmerie, forces spécialisées en maintien de paix, a été de les envoyer sur le terrain afin de sécuriser les personnes et leurs biens. Des communiqués sont en train d’être diffusés pour rassurer les populations. Ceux qui vivent à Bamako et à Kati peuvent le témoigner, il n’y a aucun problème et les populations soulagées vaquent à leurs occupations. L’armée n’a pas été associée, parce que tout simplement, elle n’est pas une force de maintien de paix. J’en appelle au bon sens des Maliens et je précise que les actes de vandalisme ne font aucunement partie de notre mission. Ceux qui ont été victimes d’actes de pillage seront remis dans leurs droits jusqu’au plus petit centime. Quelles réactions faites-vous aux déclarations de la communauté internationale et quel est le sort qui sera réservé aux personnes interpellées ? Je pense que les gens se font de l’amalgame à Bamako et au niveau international. On nous traite de putschistes, de mutins. Je change le terme. Nous sommes des soldats qui ont juste pris conscience de la réalité et avons pris le risque de nous lever pour quelque chose. Nous ne sommes là pour tuer personne. Au moment venu, chacun répondra de ses actes devant une juridiction compétente. Ce n’est pas à nous de les juger. Le peuple sait qui a fait quoi et à quel niveau. Propos recueillis par Mamadou DIALLO «Mass»  

Quelle est votre réaction ?

like

dislike

love

funny

angry

sad

wow