Le capitaine Amadou Haya Sanogo a surpris plus d’un. Et dans le monde en minuscule et en majuscule. En majuscule puisque c’est dans le journal de référence français Le Monde du vendredi 26 octobre qu’il a fait une tribune intitulée « Notre pays doit se libérer à l’image de la France de 1940 ». La tribune a été compilée avec d’autres tribunes sur les pages 20 et 21 dans la rubrique débats avec un thème général : Mali, l’intervention est inéluctable. Sur ces deux pages on a des contributions de taille comme celles de Roland Marchal, politologue au centre d’études et de recherches internationales (CERI, Sciences Pô), de Serge Michailof, Professeur à Sciences Po, auteur de « Notre maison brûle », de la tribune collective de Boubou Cissé, économiste à la Banque Mondiale, de Joseph Brunet-Jailly, économiste et de Gilles Holder, anthropologue (CNRS) et bien évidemment du capitaine Amadou Haya Sanogo, président du comité militaire de suivi des reformes des forces de défense et de sécurité (Mali).
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![](http://www.maliweb.net/wp-content/news/images/2012/07/Amadou_Haya_Sanogo.jpg)
Le capitaine Amadou Haya Sanogo[/caption]
Le Monde a donc choisi d’entrelacer ces différentes tribunes, les unes aussi riches, éloquentes que les autres. Ces deux pages du journal papier ont la même valeur qu’un numéro du débat de France 24 avec des invités de divers horizons. On aurait pu avoir le même plateau télévisé avec les mêmes personnages qu’on se serait félicité de la qualité d’un tel débat.
Le capitaine Sanogo a pris une nouvelle dimension
Le capitaine Amadou Haya Sanogo a inéluctablement pris une nouvelle dimension avec cette tribune dans
Le Monde. Le symbole est fort car de plus en plus s’éloigne de lui l’image du putschiste, du soldat inconscient qui a mis le pays dans les ténèbres. Il est vrai que le jeune officier et ses camarades ont dit toute leur bonne foi depuis le 22 mars. Ils l’ont réaffirmé même si les médias n’ont pas été de leur coté et donc rendu inaudibles leurs bonnes raisons. Aujourd’hui le capitaine est dans la grande sagesse et surtout dans la réflexion avec le nouveau comité qu’il dirige. Un comité de reformes suppose une grande œuvre de réflexion, en comparant le passé au présent et en s’ouvrant à l’avenir.
Le capitaine a frappé un grand coup dans le journal « Le Monde »
Ce que le grand public aura retenu de la tribune de l’homme de Kati dans le journal Le Monde, c’est bien les références à l’histoire. Et là il a frappé un grand coup. Car qu’on le veuille ou pas, la marche des démocraties dans le monde est jalonnée de soubresauts comme le Mali en connait. On ne peut pas demander à une jeune démocratie de surfer sur des vagues tranquilles quand la croissance doit être naturelle comme chez l’homme. On tombe malade, on guérit, on titube, on se redresse. Le Mali et ses 50 ans, a voulu rappeler le capitaine, est dans la croissance. Comme les USA ont connu la guerre de sécession en 1861 près d’un siècle après l’indépendance, comme la France de 1789 a connu des coups d’état en 1789 et 1848 dans sa deuxième république. Mieux le président du nouveau comité militaire malien plonge dans l’histoire récente de la France référence en 1940 lorsque la république a failli, que Pétain ait capitulé face aux nazis et que de Gaulle se soit déporté en Grande Bretagne pour organiser la résistance et venir libérer Paris. Contrairement a ce que l’on reproche aux capitaine Sanogo, il n’est tombé ni dans la grandiloquence, ni dans la vantardise. Il invite à revisiter l’histoire comme on ne semble pas le faire et comme les donneurs de leçon démocratiques semblent l’ignorer.
Pour le capitaine, l’histoire des autres doit servir…
En écrivant ces lignes : «
En juin 1940, le maréchal Pétain a accepté le déshonneur de la capitulation, mais de Gaulle a su dire non. Le président Amadou Toumani Touré a été pour le Mali ce que le maréchal Pétain a été pour la France en 1940 et je n'ai été pour le Mali que ce que de Gaulle a été pour la France », le capitaine entend rappeler ainsi que dans un monde globalisé, l’histoire des autres doit servir et la comparaison doit aider. Surtout que c’est l’histoire de la France, l’ancienne colonisatrice, citée aujourd’hui comme un exemple démocratique. Elle est venue de loin, cette France et elle comme toutes les autres vieilles démocraties ne peuvent exiger qu’une jeune démocratie comme le Mali ait des pieds de béton comme elles en possèdent après des siècles d’évolution.
Le capitaine dans l’air du temps
Pour le reste du texte, le capitaine SAnogo démontre qu’en acteur de premier ordre de la transition actuelle, il est dans l’air du temps.
« "La bataille de France doit avant tout être la bataille des Français", disait de Gaulle. Pour nous aussi, la bataille de Tombouctou, de Kidal et de Gao doit avant tout être la bataille de l'armée malienne. C'est pourquoi nous sommes d'accord avec la position du président François Hollande, l'armée malienne n'a besoin que de soutien logistique pour libérer le nord du pays. »
Amour pour le Mali
Il rappelle ensuite son amour pour son pays meurtri et dit que le terrorisme doit avoir une réponse mondiale.
« C'est pourquoi l'invasion de notre pays par les hordes barbares est une indignité nationale, comme l'a été pour la France le déferlement des hordes nazies sur son territoire en juin 1940. Aujourd'hui Tombouctou est "outragée", Tombouctou est "brisée" Tombouctou est "martyrisée", mais Tombouctou sera "libérée" comme Paris l'a été…
Pour l'Occident et le monde arabe, aider le Mali à chasser Al-Qaida, c'est s'aider soi-même, car Al-Qaïda au Maghreb islamique veut transformer Tombouctou en Kandahar et Gao en Kaboul. Le nord du Mali serait la base arrière d'où partiraient les terroristes pour lancer des attaques à l'étranger. Le processus a déjà commencé, nous notons la présence de plus en plus importante d'Algériens, de Pakistanais, de Soudanais et de ressortissants du Golfe. Nous demandons donc à la communauté internationale d'accorder son appui à l'armée ainsi qu'aux autorités de la transition ».
La grandeur du Mali doit se forger par les acteurs d’aujourd’hui
A en croire le capitaine, aujourd’hui la grandeur du Mali doit se forger par les acteurs d’aujourd’hui. Il fait donc ouvrir le livre de l’histoire pour s’en inspirer et mieux avancer.
Par cette tribune, le Capitaine Sanogo a jeté une pierre dans le jardin des hommes politiques et historiens et autres intellectuels qui brillent par leur absence dans le débat. Réussir le pari de faire une tribune dans un journal comme le Monde, c’est montrer le visage d’un homme lié au débat d’idée et non des armes. La prise des armes le 22 mars s’éloigne donc et restera comme un sursaut d’orgueil de jeunes militaires patriotes et républicains qui ont voulu sauver la république face à la déliquescence de l’Etat. Même si cela a valu la précipitation de la prise des régions. Pour les hommes du 22 mars, il fallait sauver au moins quelques meubles !
Barou Cissé