Madani Tall : «Il faut se préparer à la reconstruction d’un Mali nouveau»

Jan 29, 2013 - 09:29
Jan 29, 2013 - 11:35
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Au Mali, l’arrivée des troupes africaines se poursuit progressivement pour aider le pays à recouvrir son intégrité territoriale. L’économiste malien et non moins président du parti Avenir et Développement du Mali (ADM), Madani Tall a récemment séjourné à Paris où il a rencontré plusieurs hommes politiques français, les Maliens de la diaspora et bien d’autres personnalités du monde des affaires et  de la culture. Il a aussi été sur le plateau de la chaîne de télévision Africa 24 dans l’émission «Invité du jour» de lundi 28 janvier 2013. Nous proposons en intégralité son entretien dans lequel, il explore les enjeux de la reconquête du Mali pour restaurer l'intégrité territoriale du pays. [caption id="attachment_112104" align="alignleft" width="315"] Madani Tall[/caption] Dites nous quelle est la situation exacte aujourd’hui dans votre pays ? Madani  Tall : La situation actuelle est quelque peu critique, mais au moins la situation se détend parce que nous allons vers un début de solutions. Il y a 8 mois déjà, nous avions fait savoir qu’il était nécessaire que la communauté internationale vienne en aide au Mali. Car nous étions face à un ennemi, qui était lourdement armé, surentraîné, qui a combattu au Yémen, en Palestine, dans les armées vertes de Khadafi. Et qui n’était sur le territoire malien que du fait de la guerre en Libye. À cette époque-là, je pense que les gens n’avaient pas encore pris la pleine mesure de ce qui se passait, que le régime précédent en France avait fait preuve de quelques cécités. Vous parlez du régime du président Nicolas Sarkozy ? Tout à fait. Il n’avait pas pris la pleine mesure des événements. Nous sommes heureux, nous Maliens aujourd’hui, qu’avec ce changement, il y a une nouvelle ligne politique qui semble être plus réaliste et plus proche de la crise actuelle. Aujourd’hui, il va de soi que dans les 45 prochains jours,  les villes principales du Mali seront reconquises. Alors vous parlez de Gao ? De Kidal et de Tombouctou. Tout de même, les troupes françaises épaulées par les troupes africaines, et des forces maliennes aussi puisque les forces maliennes font partie des forces africaines, semblent confirmer leur reconquête progressive du terrain. Mais la Cédéao  lors du dernier sommet extraordinaire qu’elle a tenu à Abidjan demande encore des moyens logistiques et financiers à l’ONU. Ça veut que l’Afrique n’a pas les moyens pour reconquérir elle seule le territoire malien, pour que le Mali redevienne complètement indépendant ? Disons que si la question était une question purement malienne, elle serait très simple. Mais il s’agit d’une crise qui déborde les frontières du Mali. C’est pour cela que je parle de l’Afrique en général. Cela confirme que le Mali seul ne pourra pas faire face à tous ceux-ci. Mais comment est-ce que le Mali a pu tomber si bas ? Le Mali n’est pas tombé si bas. Il y a eu la guerre de l’Otan en Libye, il a fallu que l’Algérie, la France, l’Allemagne, que tous les acteurs régionaux ou sous-régionaux se mettent en branle pour que Kadhafi tombe. Et une fois Kadhafi tombé les armes qui protégeaient Kadhafi se sont dirigées vers le Mali. Alors, s’il a fallu une force de l’Otan pour combattre ces gens-là, je ne vois pas comment le Mali seul aurait pu y faire face. Aujourd’hui encore, et je tiens à préciser que c’est plutôt les forces armées maliennes supportées par les troupes alliées qui mènent le combat. Mais on sait que les forces armées maliennes n’ont pas de moyens ? Vous avez pu constater que le gros du travail a été fait par l’aviation et que nous ne disposions pas de moyens logistiques qui nous permettent de faire face à cette bande armée, qui est étrangère, il faut le rappeler. Parce que ce sont des Libyens pour la majeure partie, qui sont rentrés sur le territoire malien et ont bénéficié de soutiens d’une partie de nos frères maliens qui se sont constitués dans le MLNA, qui avant leur arrivée n’était qu’un mouvement virtuel. Puisque vous parlez du MNLA, il y a quelques jours, les touaregs demandent maintenant à apporter leurs appuis aux forces africaines et aux forces françaises pour pouvoir libérer le Mali. Ça vous fait sourire pourquoi ? Parce que même en temps de guerre, il y a des anecdotes amusantes comme celle-ci. Le MNLA a prouvé son incapacité au cours de ces 8 derniers mois à se débrouiller sur le terrain. Ils n’ont pu rentrer dans Gao, Tombouctou et Kidal, parce qu’ils étaient accompagnés d’Aqmi et Ansardine. Une fois qu’ils se sont dissociés militairement d’Aqmi et d’Ansardine, ils sont devenus quantité négligeable et ont été obligés de fuir dans les camps de réfugiés. Je ne vois pas comment ces mêmes personnes pourraient être aujourd’hui d’une quelconque utilité dans la libération du nord du Mali. Quelles sont vos propositions en tant que président de l’ADM, Avenir et Développement du Mali, pour sortir définitivement de cette crise ? D’abord, il faut poser un premier problème. Est-ce qu’il est possible qu’il y ait un Etat touareg au Mali ? Vous répondez ? Je réponds non. Pourquoi ? Pour des raisons simples. La communauté touarègue représente au Mali 5% de la population ; elle représente dans les régions du nord de notre pays, 17% de la population donc pour qu’il puisse avoir un Etat touareg, il faudrait que 85% de la population n’aillent pas le droit de voter. Ça veut dire que les Sonrai, les Peuls, Bela, Bamanan, qui se trouvent entre Gao, Kidal et Tombouctou  vivraient en apartheid, qui ne dirait pas son nom. Et au-delà de cela, même si on se concentre sur la seule région de Kidal et que l’on dise, nous allons faire un Etat touareg à Kidal. Mais le MLNA, il est composé principalement de touareg Iforas,  qui ne représentent pas la majorité des touaregs. Pourquoi vous ramenez la question malienne à la question ethnique, alors que de 1991 à 2010, 2011, le Mali a vécu avec ses différentes composantes… Tout à fait, parce qu’il y a une composante de la société malienne, qui est en mal de vivre et qui tend à fracturer la cohésion sociale de notre pays. Nous sommes un pays multiethnique, multiculturel, multicommunautaire, qui avions appris à vivre ensemble au cours de nos mille années d’Histoire. Mais il se trouve aujourd’hui que pour une question, une autre, il y a des gens qui estiment que le développement   ne leur touche pas, alors que c’est valable pour les personnes qui se trouvent à Kayes. Est-ce que le Mali a un quelconque avenir ? Bien sûr ! Le Mali est une terre éternelle comme la plupart des autres terres. Je pense que la guerre va finir tôt au tard, il n’y a pas une guerre qui ne finisse pas. Et nous, nous pensons déjà à l’après-guerre. J’ai discuté avec un vieux monsieur ici, il y a quelques jours, qui me disait : vous ne pourrez faire l’économie d’une assemblée constituante, qui revêt la refonte de vos institutions et même sans doute de votre constitution afin qu’elle prenne en compte les aspirations du peuple. Donc, je pense déjà qu’il faut se préparer à la reconstruction d’un Mali nouveau.

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