Mali: Choguel Maïga, un vétéran de la politique à la primature
Nommé ce lundi Premier ministre, Choguel Maïga est chargé de former le gouvernement au Mali. C'est un homme politique tenace qui prend les commandes de la nouvelle équipe au moment où les défis à relever sont nombreux.
Une revanche après un parcours semé d'embûches
Ce lundi 7 juin 2021, un peu plus de trente ans après la révolution malienne, il prend définitivement sa revanche en accédant à la primature. Ses blessures se cicatrisent probablement. Car son parcours politique a été semé d’embûches. En 1997, il boycotte les élections présidentielles et législatives. En 2002, pour la première fois, il est candidat à une élection présidentielle. Il n’obtiendra pas le remboursement de sa caution, ayant obtenu un score inférieur à 5 % des suffrages exprimés. Au second tour, il appelle à voter pour le général Amadou Toumani Touré qui s’assoit dans le fauteuil laissé vide par un géant de la scène politique malienne, Alpha Oumar Konaré. Pour la première fois dans l’histoire du Mali, un président démocratiquement élu succède à un autre. Les cinq années suivantes, politiquement, Choguel Maïga roule sur un chemin bien étroit.Son parti, qui a un tigre pour emblème, a cinq députés sur les 147 que compte l’hémicycle en 2002 ; et il en aura huit en 2007. Il noue des alliances dans le marigot où les caïmans rêvaient de le dévorer. L’homme sera ministre à deux reprises. En 2002, pour quelques années, il détient le portefeuille de l’Industrie et du Commerce. En 2015, il revient au gouvernement, plus précisément au ministère de l’Économie numérique et de la Communication.Retour sur le devant de la scène avec le M5
Mais s’il est vraiment revenu sur le devant de la scène, c’est à cause de sa posture au sein du M5-RFP, mouvement hétéroclite qui a contribué à la chute de l’ancien président Ibrahim Boubacar Keïta, « IBK ». Créé le 5 juin 2020 et composé de partis et de mouvements politiques, le Rassemblement des forces patriotiques a désigné Choguel Maïga comme son « président du Comité stratégique ». Comme d’autres responsables du mouvement, il montre son courage physique. Le 10 juillet 2020, les mouvements réunis au sein du M5-RFP battent encore une fois le pavé. Des bâtiments publics sont saccagés. Au moins deux morts et de nombreux blessés. Dans les jours qui suivent, les responsables et militants du M5-RFP sont arrêtés. Parmi eux, Choguel Maïga. Les militants montrent leurs muscles. Ils sont décidés. Les personnes arrêtées sont malgré tout libérées. Dans un rapport, la gendarmerie où ils étaient détenus précise : « Monsieur Maïga n’avait pas du tout l’air affecté par la détention. […] Il recevait des appels téléphoniques d’un peu partout. » Choguel Maïga s’impose comme « la voix » de la contestation. Porte-parole du mouvement, il inonde quasiment quotidiennement la presse de communiqués, ce qui finit par agacer des membres du mouvement. Certains commencent par parler directement à la presse en prenant le contre-pied des déclarations de Choguel Maïga. À la chute de l’ancien président malien IBK, le 18 août 2020, le M5 – et le président de son Comité stratégique en tête – rêve du grand soir. Le docteur Maïga a 63 ans. Mais le mouvement est divisé. Une frange de ce groupe – notamment des jeunes – préfère rejoindre les militaires auteurs du coup d’État. L’imam Mahmoud Dicko, personnage central du M5-RFP, déclare qu’il retourne à sa mosquée. Aimable euphémisme pour dire que la concorde avec les leaders du M5-RFP est terminée. Des membres du mouvement sont mécontents de cette décision de l’influent chef religieux. De leur côté, les militaires qui ont pris le pouvoir affirment vouloir rester à distance des forces politiques et refusent un mariage forcé avec le M5-RFP. Choguel Maïga, quant à lui, refuse de tirer à boulets rouges sur l’imam. Il garde le contact, mais continue de critiquer la nouvelle direction prise par la junte. La réalité est que le M5-RFP, à la veille de la chute de l’ancien président, était à la recherche d’un nouveau souffle. La junte au pouvoir n’entendait pas gouverner avec cet homme du passé. C’est pourquoi, en septembre, pour la désignation du nouveau Premier ministre – la junte ayant a priori déjà dans le cartable le nom du président –, les militaires demandent à tous les candidats à ce poste de déposer leurs dossiers. Choguel Maïga, rusé comme un Sioux, sent le coup fourré. Contrairement à d’autres de ses camarades du mouvement, il ne s’abaisse pas à déposer son dossier de candidature. Il a vu juste. Là aussi, les militaires avaient déjà choisi leur candidat et cherchaient à faire diversion en montrant que le poste était ouvert à tous les candidats.Une ténacité qui porte ses fruits
Neuf mois plus tard, le colonel Assimi Goïta, vice-président de la Transition, après avoir débarqué le président de la Transition, Bah N’Daw, et son Premier ministre, Moctar Ouane, qu’il avait lui-même choisis a besoin d’une nouvelle alliance pour gouverner. Il se jette alors dans les bras du M5-RFP qui accepte la primature. Une semaine avant, à la veille du dernier remaniement ministériel qui va déclencher une nouvelle crise, une frange du M5-RFP refusait les strapontins que proposait le président de la Transition. Aujourd’hui, le camp du colonel Assimi Goïta et celui de Choguel Maïga ont jeté les querelles à la rivière. Terminée l’époque où les militaires ne voulaient pas travailler avec le M5-RFP. Et vice-versa. La ténacité du Premier ministre a porté ses fruits. Mais à quel prix ? Pour occuper le fauteuil douillet de la primature, le docteur Choguel Maïga a quand même mangé, sur plusieurs sujets, un bout de son chapeau. Lui qui exigeait un président civil pour la Transition va finalement travailler avec le colonel Assimi Goïta. Et pour bien montrer que cela ne le gêne aucunement, il s’est déjà fait son porte-parole, le 4 juin 2021, lors d’un rassemblement du M5-RFP, alors qu’il n’était pas encore officiellement nommé Premier ministre. Prenant la parole lors de ce rassemblement, alors que Paris venait de suspendre sa coopération militaire avec Bamako à cause du second coup d’État en neuf mois, il s’est indirectement adressé à la France, pour apporter diplomatiquement des assurances : « Ce que le président de la Transition m’a chargé de transmettre, c’est de rassurer tous nos partenaires. Le peuple malien veut retrouver son indépendance, sa dignité ; il veut travailler dans l’honneur et nous sommes particulièrement attentifs. Nous resterons attentifs aux préoccupations de nos principaux partenaires qui sont les pays qui nous ont tendu la main lorsque nous étions dans les difficultés, mais nous avons besoin aujourd’hui d’un nouveau souffle. »Homme de compromis
Celui qui fut un brillantissime étudiant a également mangé son chapeau sur ce qui est un peu le Graal de son parcourspolitique : l’accord de paix d’Alger, signé entre les ex-rebelles du nord et le gouvernement. Il a toujours estimé que cet accord conduirait inévitablement à la partition du Mali. Adepte d’un nationalisme ombrageux, il est néanmoins aujourd’hui prêt à appliquer l’accord. D’ailleurs, pour convaincre les plus sceptiques, il a reçu, avant même son entrée en fonction, une délégation des ex-rebelles. « Vraiment, au cours de la rencontre, il nous a donné l’assurance que nous sommes tous des Maliens et qu’il n’est pas venu pour se comporter comme un éléphant dans un magasin de porcelaine », commente un membre de la délégation des ex-rebelles. Choguel Maïga abandonne désormais une autre de ses revendications : la dissolution du Conseil national de Transition (CNT), organe législatif de la Transition. Le M5-RFP, qui trouvait qu’il n’était pas du tout représentatif du peuple, avait demandé à la justice de déclarer « illégal » cet organe. Le nouveau Premier ministre doit aujourd’hui faire valider son programme gouvernemental par le CNT, d’où l’opération de charme qui a commencé.Quelle est votre réaction ?