Mali : Élection 2013 : Il faut restaurer les débats entre candidats à la présidentielle
Suite aux évènements du 26 mars 1991, le Mali a accédé au multipartisme. Dans cette euphorie pluraliste, des citoyens démocrates ont réclamé et obtenu en mai 1992 le premier débat des candidats aux élections présidentielles appelé localement: Face à face.
Il s’agit de mettre sur le même podium médiatique les deux candidats qui ont obtenu le plus de voix à l’issue du premier tour des élections. Chacun de ces deux, en défendant son programme, tentera de prouver aux millions de téléspectateurs qu’il sera le meilleur maçon pour la nation. Ces moments de confrontation d’idées sont nécessaires du fait que peu d’électeurs, partout au monde, prennent le temps de lire entièrement le projet de société que défend un candidat.
La bonne règle démocratique exige l’organisation de ces débats d’idées entre tous les candidats en lice, sans exception, avant le premier tour des présidentielles.
Il est déplorable de constater que notre grand Mali se réclamant d’une démocratie exemplaire en Afrique n’ait pu organiser aucun autre débat depuis 1992. Pourtant ce genre de débat contradictoire s’est avéré efficace. Car, celui de 1992 a bien éclairé et influencé le choix des électeurs entre les candidats Alpha Oumar Konaré et Tiéoulé Mamadou Konaté.
En 1997, prétextant officieusement que l’unique adversaire de A.O. Konaré, nommé Maribatrou Diaby n’était pas à l’aise dans la langue de Molière, les structures étatiques impliquées dans la préparation du face à face ont fui leur responsabilité. Sinon, les deux candidats pouvaient s’exprimer facilement en Bambara qui est une langue nationale mieux comprise que le français par la plupart des électeurs maliens. Ne serait-il pas conséquent que les débats se fassent aussi en Bambara ? Mais victime d’une déculturation nos langues nationales sont souvent délaissées au profit du français.
La déculturation est un processus conduisant à une perte d’identité culturelle d’une personne, d’une ethnie, d’une population… N’eut été la persévérance des animateurs d’émissions radio en langue nationale, la culture serait dans un état de dégénérescence désespérée au Mali.
La culture, c’est la carte d’identité d’un peuple. Si la carte d’identité précise la filiation et la physionomie d’une personne, force est de constater que les peuples d’Afrique présentent des cartes d’identité peu conforment à leurs physionomies. Hélas, après 50 ans d’indépendance politique, les africains sont à une phase d’acculturation avancée. Cette crise culturelle est en grande partie causée par la dégradation constante des langues africaines. La langue est le moteur de la culture. La culture est le véhicule du développement.
Chaque peuple fait sa culture. Chaque culture reflète son peuple. La tombée en désuétude d’une langue, entraîne inéluctablement la déconfiture d’une culture. Depuis très longtemps, le peuple malien évolue dans une atmosphère de déculturation inquiétante causée par la dégradation constante des langues nationales. Même le garde-fou qu’est la timide vulgarisation de l’alphabétisation en langues nationales n’a pu empêcher cette dégringolade.
Une telle déculturation effrénée est sous-tendue par un complexe d’infériorité des personnalités politiques et médiatiques maliennes face à la langue française.
Le débat autour de l’identité culturelle malienne n’a jamais été au centre des campagnes électorales qui permettent de choisir des dirigeants politiques. Des choix qui doivent être basés sur le niveau d’implication et de réalisation culturelles des candidats. Chaque citoyen, éligible et électeur, doit être fier de son appartenance à un Mali culturellement solide et solidaire. Je demeure convaincu qu’aucun peuple ne peut durablement se développer sans solidement sauvegarder ses acquis culturels pour les propager solidairement.
Sur le plan international, l’alphabétisation recule. Le constat est étonnant : Selon les statistiques de 2009 près de 800 millions d'adultes à travers le monde, pour la plupart des filles et des femmes, ne sont pas alphabétisés. En plus de ce chiffre, 139 millions d’enfants et d’adolescents qui sont incapables de s’insérer dans le milieu éducationnel, risquent fort d’élargir le cercle d’analphabètes. Près de 90 pour cent des adultes concernés vivent dans les pays en développement.
L’analphabétisme est un facteur de ralentissement de la propagation et de la consolidation des valeurs culturelles sur lesquelles se fonde tout développement durable. Il ne faut pas oublier de noter qu’un analphabète peut être une personne bien cultivée mais très limitée dans la diffusion et la rentabilisation de sa culture. Alors qu’une culture renfermée sur elle n’évolue pas.
Il est de notre responsabilité à tous de contribuer à l’épanouissement culturel selon nos diverses compétences pour freiner la déculturation.
Dans la mesure où, il est prouvé que la plupart des maliens parlent et comprennent bien la langue Bambara, pourquoi on ne fait pas de débat contradictoire dans cette langue de Djéli Baba pour mieux faire comprendre les substances des programmes des prétendants au poste de président de la République ?
En 2002 et 2007, les organisations de débats n’ont pu être faites parce que le candidat indépendant ATT aurait évoqué le manque de temps.
Décidément, au Mali, la tenue du débat dépend de l’humeur du plus influent. ? À mon avis, ces débats d’idées représentent dans l’expression démocratique ce que vaut la colonne vertébrale dans le corps humain.
Nous n’avons qu’à contempler, à côté de nous, la République du Bénin qui, en exerçant avec sincère transparence ses consultations populaires depuis 1991, consolide les vertèbres de sa démocratie. Ce Bénin, seul pays qui organise régulièrement des face à face, est le meilleur exemple démocratique en Afrique.
Tout dirigeant ou toute institution qui continuera à obstruer ce canal de confrontation équitable des visions, contribuera à mettre notre démocratie malienne, actuellement trébuchante, dans une posture rampante et agonisante.
Ne devons nous pas, sans orgueil, imiter le Canada qui pratique le meilleur système de libre expression démocratique en donnant aux représentants du pouvoir et de l’opposition un égal accès aux médias d’État ? En période électorale, il est inimaginable au Canada qu’un candidat à la haute direction du pays, d’une province et d’une ville tente d’empêcher la tenue d’un débat ou refuse d’y participer. Ce candidat aura lui-même, par ce comportement, retiré son nom de la mémoire sélective des électeurs.
Ainsi, j’invite le ministère de l’information, les médias privés, bref, tous les militants et militantes de la démocratie, selon leurs moyens d’expression, à revendiquer, avec insistance au près des autorités maliennes, la restauration des débats d’idées avant le premier et le deuxième tour des élections présidentielles de 2013.
C’est normal, il faut le dire. Même si on risque d’être qualifié d’ennemi du ou des candidats qui occultent ce genre de débat pour, enfin, bâillonner la démocratie.
Lancine Diawara
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