De plus en plus isolés à l'étranger comme au Mali, les auteurs du putsch mené jeudi contre le président Amadou Toumani Touré, surnommé ATT, tentaient samedi de mettre fin à la dangereuse incertitude régnant dans le pays et de garder le contrôle de la situation face à une possible contre-offensive loyaliste.
[caption id="attachment_56573" align="aligncenter" width="610" caption="BAMAKO (MALI), 24 MARS 2012. Des soldats putschistes protègent une station-service. | AFP/ HABIBOU KOUYATE"]
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Un calme précaire et tendu par endroits régnait dans la capitale Bamako. Dans le nord-est du pays, un groupe islamiste armé touareg s'apprêterait samedi à prendre une une ville importante, au grand dam des putschistes qui reprochent précisément à ATT sa «faiblesse» face à ces rebelles favorables à l'application de la charia.
Les mutins contrôlent toujours la radiotélévision d'Etat. Les « bérets verts» putschistes, avec à leur
tête, une poignée d’officiers subalternes, comme le capitaine Amadou Sanogo ou le lieutenant Amadou Konaré, devenu porte-parole du Comité national pour le redressement de la
démocratie et la restauration de l’Etat (CNRDR), contrôlent toujours ce samedi le siège de l’ORTM (la radiotélévision d’Etat), d'où ils ont appelé «les propriétaires des stations essence à ouvrir» leurs établissements. Les mutins ont annoncé avoir pris des mesures sécuritaires pour prévenir les pillages, a indiqué un porte-parole et ont exprimé leur «profond regret pour les désagréments subis par les uns et les autres», notamment lors des premières heures du coup d'Etat. A Bamako, des pillages isolés et tirs sporadiques continuaient d'être signalés samedi. Les putschistes ont mis en place des points de contrôle aux entrées de la ville. Les banques sont toujours fermées. Le couvre-feu est en vigueur entre 19 heures et 7 heures.
Les islamistes gagneraient du terrain. Les mutins accusent le président Touré d’«incompétence» et de faiblesse face à la rébellion touareg qui sévit dans le nord du Mali. Et face à Al-Qaïda au Magreb islamique (Aqmi) qui détient toujours quatre otages français depuis la mi-septembre 2010. Mais ce samedi, Ansar Dine, un groupe islamiste armé touareg qui veut appliquer au Mali la charia par «la lutte armée» annonce «la prise imminente» de Kidal, une importante ville de l'Azawad, une région au nord-est du pays. Ansar Dine a un moment combattu avec d'autres auprès de la rébellion touareg, notamment avec le Mouvement national pour la libération de l'Azawad (MNLA). Ce parti laïc s'est depuis démarqué des islamistes en raison de ses prises de position sur la charia. Depuis le 17 janvier, le Mali subit des attaques du MNLA et d'autres rebelles, dont des hommes lourdement armés rentrés de Libye où ils avaient combattu pour le régime de Mouammar Kadhafi.
La société civile se mobilise. A l'incertitude sur la situation militaire, s'ajoute l'incertitude politique sur les projets de la junte: à cinq semaines du premier tour de la présidentielle prévu le 29 avril, le coup d'Etat a été condamné par 12 des principaux partis politiques maliens. Plusieurs associations de la société civile ont elles aussi condamné samedi le putsch, et appelé la junte à quitter le pouvoir, tandis que la Commission nationale des droits de l'homme a dénoncé «un climat de terreur» causé notamment par «des coups de feu intempestifs». Trente-huit partis politiques se sont réunis pour former avec la société civile une plateforme et rencontrer la junte afin de lui demander le retour à l'ordre constitutionnel.
Pas de précision sur le sort du président Touré. Samedi, on ignore toujours si, protégé dans un endroit inconnu par des militaires loyalistes, le président Touré préparerait la contre-offensive, comme l'assurait jeudi son entourage, ou s'il est prisonnier des mutins. Le chef de l'Etat «va très bien, il est en sécurité», a assuré vendredi le capitaine Sanogo, refusant cependant de dire où il se trouve. Les dirigeants du gouvernement renversé sont «sains et saufs» et seront «prochainement remis à la justice malienne», a dit l'officier.
Le coup d'Etat unanimement condamné sur la scène internationale. Une délégation conjointe de la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cédéao), de l'Union africaine (UA) et de l'ONU, a séjourné à Bamako vendredi. Ses membres se sont entretenus par téléphone avec le capitaine Sanogo, celui-ci ne s'étant pas déplacé en ville pour des raisons de sécurité, selon un diplomate africain. L'Union africaine a d'ailleurs suspendu vendredi le Mali de «participation à toutes les activités de l'organisation jusqu'au rétablissement effectif de l'ordre constitutionnel». Les Etats-Unis ont prévenu vendredi que leur aide économique et militaire de 70 millions de dollars risquait d'être compromise si les responsables du coup d'Etat militaire ne rétablissaient pas l'ordre constitutionnel dans le pays, alors que l'aide humanitaire du même montant était maintenue. Ce samedi, Washington demande à ses ressortissants de ne pas se rendre au Mali.
De son côté, le Canada, qui a vigoureusement condamné le putsch, a annoncé suspendre son aide au Mali. Il s'agit dans un premier temps d'interrompre l'aide versée directement au gouvernement malien, tandis que les versements faits via des agences d'aide humanitaire et des organisations non-gouvernementales locales seront poursuivis.
24.03.2012/
leparisien.fr