Otages nordistes tués au Mali : le scénario d'un fiasco

Avr 14, 2012 - 02:32
Avr 14, 2012 - 04:38
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C'était hier au tour de la famille d'Antoine de Léocour d'être discrètement « conviée » au ministère de la Défense, neuf mois après la famille de Vincent Delory qui l'avait été le 11 juillet. Elle a eu le droit de voir les images - classées secret défense - filmées par l'armée française lors de l'assaut baptisé "Archange foudroyant" dans lequel leur fils Antoine, l'humanitaire de 25 ans, et son ami Vincent, sont morts. « La Voix du Nord » a pu voir ce film, mais aussi écouter les échanges radio entre les pilotes survolant l'opération.
[caption id="attachment_60327" align="alignleft" width="460" caption="A gauche, le 4x4 des otages en feu. A droite, un mystérieux avion nigérien survole la zone. REPROS « LA VOIX »"][/caption] D'abord un. Puis deux. Enfin les trois véhicules du convoi se suivent en file indienne au milieu du désert. Un pick-up beige (celui des ravisseurs), un bleu (celui des gendarmes pris à leur tour en otage), un 4x4 blanc où se trouvent les otages originaires de Linselles : l'humanitaire Antoine de Léocour et son ami d'enfance Vincent Delory. Ce sont des images aériennes, ressemblant aux images satellite météo lorsque les plans sont larges, balayant l'immensité muette du désert entre le Niger et le Mali, où les ravisseurs d'Antoine et de Vincent remontent vers le nord le long d'un cours d'eau asséché. Évoquant un jeu vidéo martial lorsque la caméra zoome, par exemple sur des bosquets où les ravisseurs tendent à l'aide de bâches secouées par l'harmattan une embuscade aux gendarmes nigériens qui les poursuivent. Au milieu de l'image couleur sable. Les coordonnées (longitude, latitude) sont indiquées, ainsi que l'heure. Le film dure 42 minutes et 34 secondes. C'est celui qui a été transmis par le ministère de la Défense à la justice. Mais il aurait dû durer une heure et demie puisque l'intervention a débuté à 9 h 36' 47'' pour s'achever à 11 h 03' 38''. Ce qui veut donc dire qu'il y a eu davantage de scènes coupées que de scènes transmises. Sécurité des troupes toujours en activité dans la zone oblige ? Ou bavure à cacher ? Car les interruptions - les plus longues allant jusqu'à cinq minutes - ont lieu à des moments stratégiques. Des trous complétés en partie par le récit des ravisseurs (notre édition du 6 janvier). On se concentre sur l'assaut. Les trois véhicules viennent de se réfugier sous les arbres, ayant manifestement repéré les forces françaises. 10 h 24' 40'' : les militaires sont déposés par les hélicoptères Cougar au sol. À 10 h 27, des hommes sont tapis dans la végétation à une centaine de mètres du 4x4 blanc. À 10 h 30' 23'', des points blancs ressemblant à des impacts de tir, puis le pick-up beige explose. À 10 h30' 50'', un mystérieux aéronef blanc apparaît. Vraisemblablement celui des forces nigériennes : les militaires diront au juge (ci-contre) ne pas l'avoir vu, mais sur la bande-son, on entend une demande de renseignements formulée en anglais par les Nigériens au même moment. 10 h 32' 59'' : les hommes au sol attendent toujours dans les bosquets. Mais à 10 h 33' 06'', un rectangle blanc « confidentiel défense » envahit l'écran. Dès qu'il disparaît, à 10 h 33' 13'', le 4x4 blanc est en feu. Sept secondes plus tard, nouvelle explosion du 4x4 blanc. Les plans deviennent alors plus larges, balayant la scène d'où s'élèvent désormais trois colonnes de fumées noires : les trois véhicules. Jamais on ne distingue Antoine et son ravisseur (il a été retrouvé à 200 m, une balle dans la tête). Ce n'est que 23 minutes après l'explosion, à 10 h 56, que deux militaires parviennent à moins de cinq mètres du 4x4 blanc. Ils marchent calmement, sans chercher à s'approcher. La dernière image, à 10 h 59 montre le véhicule toujours en feu. Les causes de la mort de Vincent Delory sont toujours indéterminées. Son corps a été retrouvé brûlé en grande partie, à un mètre du véhicule incendié. On ignore toujours pourquoi il n'a pu s'échapper du 4x4 blanc, s'il était déjà blessé ou s'il avait perdu connaissance à cause des impacts de balles des ravisseurs et françaises. •
Une bande-son troublante
Les échanges radio entre l'équipage de l'avion de surveillance et celui de Pégase 105 , de 6 h 30 à 10 h 56, sont parfois déroutants. Celui de 9 h 46' 22'' laisse supposer que, comme l'affirme l'armée pour justifier l'intervention rapide, les ravisseurs attendaient des renforts : - «Groupe armé chef tribal lourdement armé » - «C'est Mokhtar Belmokhtar (parrain du Sahara) » - « Ouais. » Sang-froid ou détachement ? Les heures précédant l'assaut, les pilotes ne se départissent jamais de leur calme, même en tâtonnant pour trouver le bon angle de vue dans le désert. Le ton est même badin : ils commentent le matériel dernier cri (- « C'est une boîte canadienne qui fait ça » - « Ah ouais ? ») ou le confort rudimentaire de l'appareil (« Eh ben ça y est j'ai mal au c... »). Le ton de ces troupes d'élite est léger (« Comme on dit chez nous, on n'est pas à l'abri d'un coup de chance »). Sans doute le sang-froid de forces spéciales rompues à l'exercice. Mais ces militaires ont-ils conscience que la vie de deux jeunes compatriotes se joue à quelques mètres sous eux ? La tension monte à partir du moment où leur camarade « Guston » est blessé à la jambe et « gère » en se faisant « un point de compression ».
10 h 32' 12'' (pas d'image côté vidéo à ce moment-là) : - « 65, de Minou, euh, détruits 3 pick-up, incident de tir en cours de résolution. » Puis, 10 h 34' 11'' (les trois véhicules flambent) : - « Priorité sécurisation du pick-up blanc » - « Reçu pour la sécurisation du pick-up blanc mais le pick-up blanc est détruit, hein. » - «Je sais mais c'est au moins les alentours du pick-up blanc. (les parachutistes vont être largués). » De nouvelles flammes s'échappent du 4x4 blanc. Quelques secondes plus tard : « Si vous avez rens. sur les otages me le donner. » Un pilote commente : « Eh ben, ils ont été aussi loin pour arriver là. Vous auriez pu le récupérer le 4x4 . » Puis : « On ne sait toujours pas s'ils ont ramassé les colis. » De quoi, ou de qui, parlent-ils ?
Source: lavoixdunord.fr - samedi 14.04.2012, 05:02 - PAR CLAIRE LEFEBVRE

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