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![Kidal : Les pourparlers de paix noyés dans un bain de sang](http://www.maliweb.net/wp-content/news/images/2014/05/Moussa-Mara-Kidal.jpg)
Le Premier ministre Moussa Mara[/caption]
La visite du Premier Ministre Moussa Mara à Kidal sera retenue dans les livres d'histoire. Samedi matin, en quittant Tombouctou, Mara, accompagné de son épouse et d'une forte délégation composée, notamment, d'une dizaine de ministres, de responsables du Haut Conseil Islamique et d'agents de sécurité, s'envole pour Kidal à bord d'un avion de la MINUSMA, la force onusienne.Mara apprend, en cours de route, que l'aéroport de la ville est pris d'assaut par des manifestants pro-MNLA opposés à l'atterrissage de l'appareil.
Mara rejette les conseils de prudence: il décide de se rendre à Kidal vaille que vaille. Compte-t-il sur le soutien de la MNIUSMA dont un hélicoptère le transporte ? Ou bien espère-t-il que les Français, maîtres du nord, empêcheront le MNLA d'attenter à la vie des plus hautes autorités gouvernementales du Mali ? Usant d'une manoeuvre de contournement, l'hélicoptère onusien dépose, vers 13 heures, le Premier Ministre dans le camp de la MINUSMA à Kidal puis dans la garnison malienne de la ville.
Là stationnent 200 soldats sommairement armés. Mara entend passer la nuit au gouvernorat, manifester le maintien de la région sous la souveraineté malienne et montrer aux indépendantistes touaregs que pour rien au monde, le pays n'abandonnerait ce bout de terre aride légué par les ancêtres. C'est en arrivant au gouvernorat que Mara subit un déluge de feu. Des combattants touaregs embusqués dans les alentours arrosent de balles la délégation qui, cahin caha, parvient à se réfugier dans l'édifice.
Le MNLA monte le siège. L'armée malienne, sous la conduite du général El-Hadji Gamou, parvient à exfiltrer Mara et ses ministres vers le camp militaire malien. Les autres personnalités restées au gouvernorat sont encerclées par les rebelles qui poursuivent le feu.
Selon un premier bilan publié par la DIRPA, la cellule de communication de l'armée, les combats ont fait 8 morts et 25 blessés (militaires) maliens, contre 28 morts et 62 blessés du côté du MNLA.
Le communiqué de la DIRPA souligne que dimanche encore, le MNLA gardait en otages au gouvernorat une trentaine de fonctionnaires (secrétaires, enseignants, administrateurs civils, etc.). Certes, la fiabilité de ces chiffres n'est pas absolue, mais ils donnent une idée du carnage de Kidal. Mara passera la nuit à Kidal pour, tôt le dimanche, s'échapper vers Gao. A noter que tout au long des affrontements, ni la force française Serval, ni les forces onusiennes n'ont levé le petit doigt alors que se trouvaient engagés la vie, la liberté et l'honneur des plus hauts serviteurs de l'Etat malien. Pourtant, l'ONU compte un grand nombre de casques bleus sénégalais et rwandais à Kidal-ville ainsi que, quelques kilomètres plus loin, un puissant contingent tchadien à Tessalit.
Le début de la: reconquête armée ?
L'attaque de la délégation malienne aura peut-être servi à quelque chose. En effet, dès le samedi, ordre a été donné aux 600 soldats maliens stationnés à Anéfis de faire mouvement vers Kidal. Cette unité militaire, appelée Groupement tactique inter-armes
"Balazan", est issue de la dernière promotion de l'EUTM de Koulikoro. Elle est commandée par le lieutenant-colonel Sérémé et compte à la fois des bérets rouges et des bérets verts. Son équipement n'est pas, hélas, impressionnant : 20 pick-up, quelques PKM et canons de 12,7 mm, mais aucun BRDM.Un soldat de l'unité, joint au téléphone par notre rédaction, nous raconte que les 600 soldats ne se sont pas mobilisés de gaieté de coeur:
"Depuis trois jours, nous étions en pourparlers avec nos chefs pour obtenir nos primes. Notre nourriture est frugale, bien qu'en théorie, l'Etat y consacre 35 millions de FCFA par mois: du 6 avril 2014, date de notre arrivée à Anéfis, nous ne vivons que de riz le jour, de macaroni et d'un peu de viande le soir. Notre eau de boisson, importée tous les trois jours à 550 km d'Anéfis par citerne, est décolorée par une trop forte densité en calcaire. Il paraît qu'elle est susceptible de provoquer un affaiblissement des os, au point que l'on risque une fracture en sautant d'un véhicule. Nous ne cessons de dépérir !". En tout cas, dimanche à midi, les hommes du GTIA avaient fait leur entrée à Kidal.
Les sources rapportent que des renforts maliens sont également appelés d'Abeibara. "Il semble que l'on assiste, dans les heures à venir, à une invasion de Kidal par l'armée malienne", nous dit une source. Cette éventualité est davantage accréditée par la mobilisation de renforts en provenances de Gao. Au même moment, à Bamako, le camp de Djikororoni, siège des commandos parachutistes (les fameux bérets rouges), a connu un rassemblement massif. A la demande du gouvernement, le chef de l'unité, le capitaine Youssouf Goïta, a ordonné à ses hommes de se mettre en route pour Kidal. Il a ajouté que tous les moyens seraient mis à disposition pour cette mission. Au moment où nous mettions sous presse, une première vague de 300 bérets rouges avaient déjà pris la route de Kidal. Ils devraient être suivis d'un second contingent ce lundi.
"Une dizaine de 4X4 de marque Kia nous ont été remis dimanche", nous précise un béret rouge.
Tout prête donc à croire que les graves incidents de Kidal sont en train de déboucher sur une reconquête armée de la ville. D'autant que la France et la MINUSMA ne se sont pas, comme auparavant, opposées à l'entrée du GTIA
"Balanzan" à Kidal et qu'elles n'ont rien fait pour dissuader le Mali d'y dépêcher des forces armées. Le coup de force malien en cours est-il spontané ou, au contraire, préparé de longue date ? Nul ne le sait. S'il avait été préparé, la France s'en serait rendue compte et l'aurait probablement empêché. Mais le Mali aura-t-il les moyens de reconquérir Kidal avant que la France et l'ONU s'en mêlent ? L'Algérie, qui a grand intérêt à ce que Kidal reste un déversoir de ses propres terroristes, laisserra-t-elle, sans réagir, l'armée malienne reconquérir la ville ? Quand Kidal aura été reconquise par la force, le Mali a-t-il les moyens d'y maintenir durablement la sécurité ? Quel sera alors le sort des négociations prescrites par la communauté internationale ? Voilà autant de questions auxquelles les jours prochains nous apporteront des réponses...
Tiékorobani et Abdoulaye Koné