Dans le complexe jeu politique malien, le capitaine Amadou Haya Sanogo est devenu un acteur incontournable. Depuis son putsch du 22 mars 2012 qui, en pleine débâcle militaire contre les groupes armés islamistes du nord, déposa le président Amadou Toumani Touré (ATT), ce "béret vert" de l'infanterie montre régulièrement ses crocs, et mord quand il le faut. Mercredi 13 février, il a une nouvelle fois pu mesurer l'efficacité de ce comportement. L'ancien putschiste a été investi au palais présidentiel de Koulouba par le chef de l'Etat par intérim Dioncounda Traoré au rang de président du "Comité militaire de suivi de la réforme des forces de défense et de sécurité".
Tant d'honneurs pour ce petit capitaine de 40 ans qui depuis dix mois fait tout pourtorpiller la transition politique et diviser l'armée. Certes, les premiers bombardements français du 11 janvier ont dû tonner comme un double coup de semonce à ses oreilles. Lui qui prétendait mener l'armée malienne à la reconquête d'un nord tombé aux mains des djihadistes et des indépendantistes touareg voyait son pays sauvé du chaos par des soldats français aidés par des troupes africaines. Dans le même temps, l'intervention étrangère désamorçait un nouveau coup d'Etat qu'il semblait être sur le point de commettre à Bamako.
Il n'empêche, ce militaire formé au prytanée de Kati, passé par les Etats-Unis (en 2004-2005, 2007-2008 et en 2010) où il a notamment été formé comme professeur d'anglais, semble doué d'un indéniable sens du timing dans l'usage de la violence et d'un art consommé pour blinder son impunité. La séquence des derniers jours le prouve.
Vendredi 8 février, le capitaine ouvrait à la presse les portes de "sa" base de Kati, le QG des putschistes et deuxième centre du pouvoir à Bamako. Ses proches montraient les muscles des putschistes contenus dans les hangars regorgeant de blindés menaçants mais inutiles faute de carburant. Pendant ce temps-là, à une dizaine de kilomètres de leur ville garnison, d'autres "bérets verts" réglaient leurs derniers comptes au 33
e bataillon du Régiment commando parachutiste (RCP).
COUPS DE MARTEAU
Armes à la main (deux personnes ont été tuées), ils chassaient de leur base de Djicoroni-Para, dans le centre de Bamako, les derniers "bérets rouges". L'ancienne garde présidentielle d'élite choyée par ATT est la pire ennemie de Sanogo qui, en avril 2012, avait déjà noyé dans le sang un contre-putsch du 33
eRCP, opération suivie par une vague d'arrestations et de tortures dénoncées par Amnesty international.
Samedi 9 février, Dioncounda Traoré condamnait ces
"luttes fratricides". Mercredi pourtant, il investissait leur instigateur à la tête du comité de réforme. A croire que le président de la transition ne peut pas refuser grand-chose à celui qui "contrôle" le ministre de la défense, le chef d'Etat-major et ceux des services de renseignements, entre autres. Car cette décision a dû déplaire à beaucoup, la France en particulier.
"Paris veut marginaliser Kati", nous confiait ainsi Bakary Mariko, un des porte-parole des anciens putschistes.
"Mais il ne faut pas noussous-estimer d'autant que nous avons beaucoup d'hommes déployés sur le terrain contre les islamistes", ajoutait-il.
Dioncounda Traoré est bien placé pour ne pas tomber dans ce travers. Il avait été laissé pour mort dans son palais présidentiel le 21 mai 2012 après avoir été tabassé par des partisans de Sanogo venus signifier à coups de marteau leur opposition à la signature, la veille, d'un accord politique conclu sous l'égide de la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'ouest (Cédéao), qui écartait le capitaine putschiste du pouvoir. Ce texte chargeait Dioncounda Traoré d'une année d'intérim jusqu'à des élections générales. Au passage, l'accord amnistiait les putschistes et garantissait au capitaine le statut d'ancien président. Cette dernière décision fut ensuite annulée sous pression internationale.
Un autre fait d'armes récent du capitaine est le départ expéditif, mi-décembre 2012, du premier ministre Cheick Modibo Diarra. L'ancien ingénieur de la Nasa fut tiré de son lit par des militaires, emmené à Kati avant d'annoncer, blême, sa démission.
"Depuis mars 2012, le capitaine Sanogo et ses hommes ont été clairement impliqués dans des disparitions forcées, tortures, arrestations arbitraires, extorsion de fonds, intimidation et maltraitance de personnes opposées à eux. [Ils n'ont pas]
fait l'objet de la moindre enquête. A la place, Sanogo a été rétribué par une position gouvernementale de haut niveau pour réformer les forces armées", regrettait il y a peu Corinne Dufka de Human Rights Watch. Un CV chargé qui n'empêche pas le capitaine de déclarer solennellement mi-décembre :
"Si le peuple malien décide que je joue un autre rôle, je suis prêt à l'assurer."
LE MONDE | 14.02.2013 à 13h30