Aujourd’hui, s’il vous arrivait de demander à vos enfants de vous dessiner un Etat du Mali, ils vous le rendront par un coup de crayon en pointillé. Des nouvelles qui nous arrivent du Nord, c’est comme si on se prenait à regarder une infirmité essentielle dans notre IIIè République, le moins mauvais de tous les autres régimes, aurions-nous lancé dans le temps. Partout, dans les cœurs et les esprits, des murmures s’élèvent. Le Mali avait mal dans son corps, les Maliens se posaient des questions dans leurs têtes. Il est vrai que le Mali du Mali reste le seul monument.
[caption id="attachment_58187" align="alignleft" width="402" caption="Seydou Badian Kouyaté"]
![](http://www.maliweb.net/wp-content/news/images/2012/04/seydou-Badian.jpg)
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Vous vous rappelez de nos jeunes années, ces vers de Du Bellay « Antiquités de Rome » (1558) nous apprenaient : Rome, pour dompter tout, se dompta quelque fois. Aujourd’hui, le Nord du territoire national requiert toute l’attention. Comme dans un jeu de quilles, nous voyons en temps réel, depuis les 48 heures, que les villes du Nord sont en train de passer les unes après les autres aux mains des rebelles touaregs. Il nous faut ici souligner l’héroïque comportement tout plein de devoir civique envers la patrie du Gouverneur de la région de Kidal, le Colonel Salif Koné qui a su juger de la valeur des vies humaines dont il avait la charge. Les nouvelles autorités de la place, encore sur leurs fragiles assises, viennent de lancer un appel au rassemblement, au sursaut patriotique et pour finir, de lancer un autre appel en direction des pays amis face à « l’agression des touaregs ». Une question que l’on se pose est de savoir si la République unitaire va désormais à la violence comme à sa condition et son moyen. Dans toutes ses interventions jusqu’ici, comme de sa dernière conférence de presse, le Capitaine Sanogo du CNRDRE tient un discours tenu et qui a motivé leur intervention sur la scène nationale et où on se demande sur quels autres fondements les jeunes putschistes auraient-ils pu bâtir leur avantage aux yeux du grand public.
L’armée n’est armée que de ses seules armes !
Commodités de service, dirons-nous ! L’autre question est de savoir comment notre armée va-t-elle pouvoir exhiber des lettres d’une si belle charge qui est la sienne de protéger notre intégrité territoriale en faisant appel à des troupes étrangères ? Cela, elle ne l’a pas encore dit, mais c’est tout comme. Si les autres corps habillés en armes viennent à intervenir dans ses affaires domestiques, on peut dire que la présomption sera désormais sa maladie naturelle. Une vieille sagesse du terroir nous dit que ce qui fuit au temps fait résistance. Pourquoi la preuve de nos champions militaires doit-elle désormais passer par cet esprit de compromis ? Un regard dans le rétroviseur. L’image du jour de notre armée nous rappelle un peu celle des armées sud-américaines. Aujourd’hui, ce cliché de nos forces armées rappellerait surtout l’image renvoyée de la pyramide renversée. Combien sont- ils d’officiers, d’officiers supérieurs et d’officiers généraux en proportion du nombre de soldats du rang ? On a dit que ces derniers temps, le recrutement militaire était devenu familial : les fils d’officiers occupent les postes-clés et on leurs a mis en tête qu’il n’y aurait plus de guerre à mener. Combien sont-ils à squatter les structures ministérielles où des places leurs sont réservées ? Aujourd’hui, combien sont-ils de soldats à avoir le cœur entre les dents ? A-t-on seulement pris conscience que c’est cette même non prise de conscience en la patrie de l’Etat qui fait qu’on n’est plus arrivé à juger de l’utilité d’avoir une armée forte ? Que nous ont-ils légués, nos anciens ? Demandons à nos « gardiens de l’avenir » que sont nos griots, reprenons langue avec nos traditionalistes, on verra bien que, comme cela c’est passé dans l’Antique Grèce, berceau de la démocratie, si quelqu’un ne pouvait se dépenser physiquement pour aller se battre, et mieux, s’il ne pouvait pas payer des armes en lieu et place, cette personne ne participait pas à la prise de décision, à son élaboration. Est-ce pourquoi on ne devait pas trop en attendre des esclaves ? Rappel historique : le premier coup d’Etat de l’histoire du Mali a été le fait d’un esclave du nom de Sakoura. Revenons au temps du CMLN... avant la IIè République. On peut tout leur reprocher sauf la défense de la patrie. Kissima Doukara en aurait fait une affaire personnelle, dit-on. Même que les armements, les équipements et les caisses de munition ont continué à venir après son éviction. Les années 1991 sont symptomatiques. Elles vont signer un autre départ par la négligence des armements à acquérir, le manque d’entretien et celui des nouveaux équipements, etc. Un autre esprit prenait le pas sur celui des armes. De quelle utilité pouvait se prémunir l’armée ? Elle n’occupait plus, à la limite, qu’une fonction de maintien de la paix, la logistique pour cela lui venant de l’extérieur. Reprenons encore un peu de cette tasse proverbiale : si un taurillon est castré, il perd son agressivité pour ne devenir qu’un bœuf. On peut même dire que nous avons eu des amis qui nous surveillaient à notre insu dans cette entreprise. Nous voulons parler de nos difficultés avec les deux France : l’une officielle et l’autre officieuse qui pervertit nos relations. Peut-on en arriver à des relations apaisées avec Paris ? C’est sur ces terres du Soudan que l’entreprise coloniale avait mis 33 ans pour mettre la main sur toutes les villes, mais conquises rues après rues. Ses habitants ayant toujours eu conscience de leur culture. Un exemple : l’école des fils des chefs s’appelait à l’origine « l’école des otages ». Terre d’incubation, ces populations se sont toujours inquiétées de ce qu’elles sont et de ce qu’elles pensent d’elles- mêmes. La méfiance vis-à-vis de nos dirigeants de l’époque a amené l’éclatement de la Fédération du Mali, grand de son nom et de son projet. La première rébellion touarègue qui a éclaté après avait des causes directes suite au renvoi des troupes françaises, surtout de base de Tessalit, à la création du franc malien, à l’option franche et solidaire des dirigeants de l’US-RDA. Tessalit reconquise, on ne peut s’empêcher d’y voir une main revancharde. Si cette énième rébellion n’est pas facile à réduire, faut-il se demander de quel côté est la faiblesse des moyens militaires ? Quid actuellement du protocole de la République et de son allure ?
Avec le Capitaine Sanogo, l’espoir renaît- il ?
A travers les lignes de certains analystes, ce sont les faiblesses relevées dans notre société démocratique qui sont causes de leur irruption. Nous croyons pouvoir dire qu’à l’heure malienne où nous sommes, le sens du rêve du premier Président de la République du Mali, Modibo Keïta, est devenu volatile, déstructuré, abandonné. Nous venons d’orchestrer sa seconde mort : tout « couine » avec l’école, la corruption, l’armée, etc. La reprise en main, autrement dit la conduite à tenir en ces moments uniques de la Nation, nous vient d’un de ses derniers compagnons des temps héroïques des grandes décisions qui ont été prises dans le temps au Mali. Selon le tonton Seydou Badian Kouyaté, les propos tenus, nous les prenons comme une boussole. Les Maliens, disait-il, trouveront toujours en eux les ressorts nécessaires pour affronter les nouveaux défis. C’est une épreuve que nos compatriotes vont porter sur leurs épaules en restant debout comme des hommes. L’une des portes de sortie de crise qu’il propose, et puisqu’il nous faut couper le jugement, sera d’accorder un délai court au Capitaine Sanogo que lui et ses hommes mettront à profit pour rétablir la paix au Nord et organiser les élections. Pouvons-nous rappeler ici ce que nos précepteurs moralistes disaient : l’ingratitude était une marque des peuples forts. L’Union sacrée est rappelée par d’autres canaux comme la coalition des partis politiques du Front Uni pour la Sauvegarde de la Démocratie. Ni tergiversations, ni calculs politiciens, disait l’ancien Bâtonnier, l’honorable Kassoum Tapo. Il faut aller à la table des discussions pour un vaste rassemblement, vaille que vaille. Ibrahim Boubacar Keïta du RPM nous apporte sa petite note personnelle en appelant la CEDEAO à différer les sanctions à cause des populations. Les initiatives diplomatiques pointent et l’on fera remarquer ici le pré-positionnement des troupes de la CEDEAO.
Nos militaires vont-ils comprendre qu’en cassant le thermomètre, on ne fait pas partir la fièvre ?
Peut-on récuser la médiation Compaoré après les deux états de service (de la guerre) entre nos deux armées ? Doit-on craindre de la conduite du Président Alassane Dramane Ouattara à la tête de l’organisation sous-régionale ? Mieux vaut bien requérir les mœurs et l’entendement que le savoir, dit- on. Tous ce qui est demandé à la CEDEAO, c’est d’approfondir son analyse sur la situation actuelle au Mali, dira le Capitaine Sanogo. Ce qui exigera de la part du partenaire communautaire tout un recentrage de regard là où on en n’était pas encore arrivé à une démocratie pleine. Combien de civils étaient-ils à opérer sur eux-mêmes d’abord une rotation avant d’aller rencontrer les militaires du CNRDRE ? Si, par la force des choses, l’armée est redevenue régulatrice de tension, alors ce sera aux politiciens de jouer le rôle d’accélérateur de particules. La Transition et l’Intérim sont toutes deux des pointes de lumière qui peuvent « compenser » la nature profonde de la rupture survenue le 22 Mars dernier. On ne va pas encore demander à notre démocratie le compte de sa leçon, 20 années après. Mais on peut demander aux Maliens et aux Maliennes le sens ou le profit qu’ils auront fait du témoignage de la mémoire de cette IIIè République.
S. Koné